

Alors que, pour une fois, avec "Salafistes" et "Les 8 Salopards", la justice va à contresens de la répression en matière de visa d'exploitation, on attend toujours les propositions de réforme de la classification des films. En craignant qu'elles contribuent au climat de censure et d'autocensure...
Bonne nouvelle, en matière de censure, la justice ne va pas toujours dans le sens de la répression. Le juge des référés du tribunal administratif de Paris a ainsi abaissé à 16 ans l’âge d’interdiction du documentaire Salafistes, que le ministère de la Culture avait fixé à 18 ans. « Je prends cette décision comme une victoire », s’est réjoui dans Le Parisien le coréalisateur du film, François Margolin. « On nous disait qu’on faisait l’apologie du terrorisme, qu’on faisait le jeu des djihadistes et tout cela est démenti par le juge ». Plus précisément, rapporte Clarisse Fabre dans Le Monde, “pour expliquer ce désaveu [de la décision de l’ex-ministre de la culture, Fleur Pellerin, le juge des référés] relève que le film « comporte des scènes de résistance ou de dissidence » et « permet au public, du fait même de sa conception d'ensemble et de la violence de certaines images, de réfléchir sur la portée de ce documentaire et de prendre le recul nécessaire face aux images ou aux propos qui ont pu y être présentés ». Il poursuit : « Dans ces conditions, le film documentaire Salafistes ne paraît pas devoir être regardé, en l'état de l'instruction, comme comportant des scènes qui caractérisent l'existence de “scènes de très grande violence” » qui justifient l'interdiction aux moins de 18 ans.” Autre motif de satisfaction pour les opposants à la censure, “« Promouvoir » se ramasse face à Tarantino”, comme l’a titré Libération. “Le recours de l’association réactionnaire contre le visa d’exploitation en France du dernier film de Quentin Tarantino, Les Huit Salopards, a été rejeté. L’association, en croisade contre la violence et le sexe au cinéma, s’appuyait notamment sur une « très longue séquence » racontant, « images à l’appui », une fellation imposée au fils d’un général sudiste. Mais le juge a retenu « la manière dont les scènes litigieuses sont filmées et s’intègrent dans l’ensemble » du film, et « l’absence de tout réalisme s’attachant à la mise en scène ou de toute forme d’incitation à la violence du fait même du parti pris, volontairement excessif, de cette œuvre ».”
"Des attaques qui vont à l’encontre du sens de l’histoire." Fleur Pellerin
Les juges ont-ils écouté Fleur Pellerin, qui, 8 jours avant son éviction du gouvernement, plastronnait ainsi sur le site de 20 Minutes : « Il est hors de question de laisser une association faire la pluie et le beau temps en matière de classification des films et de continuer à subir des attaques qui vont à l’encontre du sens de l’histoire » ? Quoi qu’il en soit, avant de partir, comme le rappelle Jean-Michel Frodon sur Slate.fr, “Fleur Pellerin avait commandé à l’actuel président de la Commission de classification, Jean-François Mary, des propositions permettant de répondre à l’offensive du petit groupe d’activistes mené par le juriste André Bonnet. Ces propositions étaient attendues en janvier.” Car “l’offensive de l’organisation d’extrême droite soulève [notamment] un problème juridico-politique, [qui] concerne la relation entre des instances de décision en démocratie. L’attribution d’un label aux films relève du ministre de la Culture, après avis d’une commission composée de personnalités qualifiées. Face à cette assemblée, un groupuscule qui revendique moins de 500 adhérents peut faire casser des décisions, dès lors qu’une personne seule, un juge, lui donne raison. […] À cet égard, les propositions de Jean-François Mary sont susceptibles de porter sur deux points au moins. Il peut proposer de modifier les effets d’une interdiction aux moins de 18 ans, les rendre moins pénalisants. […] La loi modifiée pourrait aussi fournir des définitions plus précises des motivations à une interdiction aux moins de 18 ans, réduisant d’autant la marge de manœuvre laissée à l’appréciation du juge. [Cependant,] il est délicat d’énoncer de manière positive le droit de montrer pénétrations, fellations, cunnilingus, et autres galipettes répertoriées, avec le risque d’entrer dans des débats scabreux sur ce qui resterait exclu, de normer des pratiques dont il est douteux qu’elles puissent ou doivent l’être, dans la mesure où aucune contrainte ni aucune souffrance n’est infligée à qui que ce soit. Cela reviendrait à vouloir préciser ce qui permet d’identifier qu’un film n’entre pas dans cette catégorie pour lesquels les juristes ont inventé la jolie formule de « vertus masturbatoires ». C’est-à-dire, en français facile, les films de cul, par opposition aux films où il y a éventuellement « du cul », éventuellement souvent, mais où on voit que ce n’est pas leur raison d’être.
Atmosphère de peur
L’autre contrecoup, tout aussi périlleux, d’une réglementation plus précise visant à couper l’herbe sous les pieds des juges répressifs, seraient de risquer du même coup d’encadrer à l’avance ce que les cinéastes peuvent faire. […] L’atmosphère qu’instaurent [tous les pères la pudeur] menace [en effet déjà] gravement la possibilité de faire de nouveaux films. Des films explorant de nouvelles directions, y compris par les moyens de la transgression – moyens qui datent de bien avant l’invention du cinéma et qu’explorent depuis l’antiquité tous les arts. Les producteurs, les chaînes de télévision, les partenaires professionnels sont insidieusement mais déjà très efficacement incités à devenir méfiants. Produire aujourd’hui Nymphomaniac de Lars Von Trier serait sans aucun doute plus difficile aujourd’hui qu’il y a cinq ans. Simultanément, de nombreux réalisateurs et les scénaristes ne pourront pas ne pas intégrer, même inconsciemment, l’existence de risques nouveaux. C’est donc tout un processus de censure et d’autocensure, une atmosphère de peur qu’induit l’action en justice de l’organisme intégriste relayée par des juges. Face à cela, il faut modifier la réglementation, et dès que possible. Mais il faut plus qu’un ajustement technique : une affirmation forte, politique et pas seulement juridique, et qui assure à l’avenir que, dans le respect des lois, les créateurs pourront continuer d’explorer voies nouvelles et zones obscures.”
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