

L'annonce de l'installation de la Fondation Pinault à Paris a occulté celle, plus surprenante, de Wim Delvoye en Iran, ou la transformation, par Anish Kapoor, de sa sculpture londonienne, l'"Orbit", en toboggan géant... Avec en bonus, de nouveaux propos choisis de Luc Ferry contre sa cible favorite.
Cela faisait longtemps, trop longtemps, que Luc Ferry ne nous avait réjouis avec ses saillies contre l’art contemporain. Il vient de se dégoter un allié de poids, et s’en est ouvert jeudi dernier dans Le Figaro. “C’est un constat banal, mais vrai, écrit-il : les régimes totalitaires semblent tous avoir eu pour première et constante préoccupation de s’en prendre à l’art et à la culture. Daech détruit les chefs-d’œuvre de Palmyre comme Staline les églises, Mao les temples, Hitler les livres tandis que Castro brisait les doigts de ses opposants musiciens. Notre Occident libéral s’est de tout temps révolté contre ces pratiques immondes, soucieux qu’il était de protéger les monuments anciens comme de faire droit aux œuvres contemporaines. Loué soit-il ! Reste qu’à en croire l’un des plus grands écrivains de notre temps, Mario Varga Llosa [oui, Luc Ferry écrit « Mario Varga Llosa »], cette sacralisation de la culture n’en dissimule pas moins une vaste entreprise de démolition, menée certes à bas bruit, sans violence physique, mais néanmoins avec pour résultat de liquider systématiquement dans la tête de nos enfants comme du grand public tous les critères de beauté et de sens qui permettaient aux œuvres d’art authentiques d’être reconnues comme telles. Car c’est bien là, selon lui, le principal effet de la glorification officielle du « n’importe quoi » dans l’art contemporain.”
Wim Delvoye en Iran, sans raison apparente
On peut parier que Luc Ferry n’invitera pas Mario Vargas Llosa à l’accompagner à l’inauguration du futur musée de la Fondation Pinault dans l’actuelle Bourse de commerce à Paris, dont l’annonce, confirmant un scoop des Echos 10 jours auparavant, a fait les gros titres de vos journaux. Ce qui a rendu presque invisible l’annonce d’une autre installation, beaucoup plus surprenante : celle d’un artiste contemporain dans un pays pas très démocratique, pour le coup. “Réputée pour son artisanat, la ville de Kashan en Iran pourrait attirer l’attention pour une autre raison : l’artiste belge Wim Delvoye prévoit d’y ouvrir son propre musée nous apprend Nathalie Eggs dans Le Journal des Arts. Il rénove actuellement cinq anciennes maisons de marchands dans cette oasis au milieu du désert, à 250 km au sud de Téhéran, révèle The Art Newspaper. Les trois plus grands édifices, Heshmatollah, BaniKazemi et Hosseini, du nom de leurs anciens propriétaires, sont reliés entre eux. Heshmatollah deviendra une galerie de 900 m2 qui accueillera ses œuvres, aux côtés d’œuvres d’artistes iraniens et internationaux. Les deux autres seront des hôtels. Wim Delvoye prévoit même d’installer son atelier dans cette ville historique de plus de 300 000 habitants et emploie déjà plus de 20 personnes. L’artiste compare son projet à la galerie de Newport Street créée par Damien Hirst et au musée construit par Thomas Schütte à Hombroich. A ceci près que ces artistes ont choisi leur pays d’origine, alors que le Belge s’installe en Iran sans raison apparente. Amer, il rappelle en effet au journaliste Tim Cornwell l’échec de son projet de parc sculptural à Gand qui s’était soldé par le paiement d’une amende de 45 000 euros.”
Boris Johnson, jamais en retard d'une facétie
Un autre artiste, anglais celui-là, et honni par Luc Ferry et consorts, est parti pour garder lui aussi un souvenir amer de l’installation publique d’une de ses œuvres, “une sculpture controversée sur le point d’être réformée en attraction populaire pour égayer les dimanches au parc. Un clash ô combien contemporain entre l’artiste, le politique et le mercantilisme, commente Florentin Collomp dans le numéro du Figaro où figure la diatribe de Ferry. Anish Kapoor est [en effet] furieux contre Boris Johnson. Le maire conservateur de Londres a décidé de transformer son œuvre The Orbit en un toboggan géant pour booster ses revenus commerciaux. Aimé ou (le plus souvent) détesté, l’édifice de 114 mètres de haut a fait son apparition à côté du Stade olympique lors des Jeux de Londres de 2012 et déjà fait couler beaucoup d’encre à l’époque. Structure difforme d’acier rouge enchevêtré surmontée d’une plateforme d’observation, l’œuvre a été critiquée comme une « folie de Boris ». Mais, pour rendre grâce au sponsor qui a supporté la majorité de son coût de 25 millions d’euros, elle a officiellement et fort poétiquement été baptisée ArcelorMittal Orbit. Cela devait devenir une sorte d’emblème culturel du redéveloppement de l’East London, équivalent de Big Ben ou, plus récemment, de la grande roue Coca-Cola London Eye, à l’ouest. Las, une fois les Jeux terminés, les visiteurs ne se sont pas bousculés dans le Queen Elizabeth Olympic Parc, qui a d’ailleurs subi des années de travaux. L’Orbit est loin d’avoir attiré les files de visiteurs prévues dans son budget, creusant un trou de 12 000 euros par semaine dans les finances municipales. Or, dans un pays aux fonds publics limités, la rentabilité n’est pas un vain mot. D’où l’idée de Boris Johnson, jamais en retard d’une facétie, de modifier l’objet artistique non identifié en toboggan. Il faut dire que sa forme s’y prêtait parfaitement. Anish Kapoor a crié au vandalisme. La star de la scène artistique britannique […] a accusé le maire de lui avoir caché ses intentions dès l’origine de la création de l’Orbit. Mais, après un an de bataille, il a fini par se ranger à la nécessité commerciale. Il a donc fait appel à son confrère l’artiste allemand Carsten Höller, justement spécialiste en toboggans, pour transformer son œuvre sans abdiquer son « honneur ». […] La glissade de 40 secondes le long des 178 mètres et douze virages de « l’œuvre dans l’œuvre » coûtera la bagatelle de 17 livres (22 euros). L’objectif est déjà partiellement atteint : les réservations pour le week-end d’ouverture, le 24 juin, au lendemain d’un renversant référendum sur l’Europe, sont déjà quasi complètes. Anish Kapoor a enterré la hache de guerre avec Boris Johnson et promis d’emmener le maire pro-Brexit pour une descente ensemble, espérant atterrir « fermement en Europe ».” Il n’a en revanche, selon nos informations, lancé encore aucune invitation à Luc Ferry. C’est peut-être pour ça qu’il boude…
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