Le stress du collectionneur, entre Venise et Bâle

France Culture
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On peut être très riche, si on se pique d’art contemporain, la vie peut être terriblement stressante. En témoigne cet article du Figaro , qui explique comment fonctionne la foire de Bâle, qui s’est tenue du 13 au 16 juin. “Une foire, deux marchés , explique Béatrice de Rochebouët. Celui de l’argent et celui de l’art. D’un côté, l’investisseur de l’autre, le collectionneur. Sans relations, aucune chance de s’en sortir. Aller à la foire de Bâle est aussi éprouvant que passer un concours. Seul le meilleur gagne. Si l’on vient pour acheter, il faut en connaître les codes, comme au Festival de Cannes. La première épreuve passe par l’obtention du fameux passe VIP nominatif First Choice, donnant accès à la foire dès 11 heures, à l’ouverture. Devant la cohue de l’an dernier, les organisateurs ont décidé d’étaler les entrées des VIP entre le mardi, pour les très importants, et le mercredi, pour les autres, avant l’ouverture au grand public, le jeudi. Tout se passe dans les premières heures. Beaucoup d’œuvres sont déjà vendues sans voir. Ceux qui ont travaillé en amont leur dossier, en réservant certaines pièces sur des listes que les galeries ne communiquent qu’à leurs plus gros clients, ont une heure à peine pour se décider. Il faut aller très vite. On les voit marcher d’un pas rapide dans les allées, accrochés à leur portable.

Difficile de circuler tout seul dans cette jungle de l’art sans son * art advisor, mais le choisir est aussi un casse-tête* . A moins de peser très lourd, de s’appeler Bernard Arnault ou François Pinault et d’avoir des relations privilégiées avec les galeries après avoir dépensé quelques centaines de milliers de dollars, l’étiquette d’un conseiller de renom est comme un sésame. Elle permet d’avoir accès aux meilleures pièces des artistes que tout le monde s’arrache. Là est le nerf de la guerre. Dans un marché au plus haut, les galeries font la loi. Elles choisissent par ordre les clients auxquels elles veulent vendre les œuvres de premier marché pour établir la cote de leurs poulains. On peut les comprendre , approuve Le Figaro .

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A la dernière Biennale de Venise, qui est aussi un gigantesque musée à ciel ouvert où les pavillons tentent de vendre au mieux leurs lauréats, ce fut aussi le même combat. Dès le coup d’envoi des journées professionnelles, les six éditions du nouveau film de Jeremy Deller, * English Magic, dans le pavillon britannique, Lion d’Or de Venise 2013, étaient déjà réservées par plusieurs institutions dont la Tate Modern, pour un prix de 50 000 livres. * « Ce n’était pas évident de décrocher le dernier exemplaire, produit par le British Council, pour une de mes jeunes clientes brésiliennes », explique la conseillère Laurence Dreyfus, qui a pourtant ses introductions auprès de la galerie Art Concept, qui soutient l’artiste.”

Roxana Azimi, dans Le Monde , revient sur cette articulation Venise-Bâle:* “Vous avez aimé l’orme calciné de l’artiste Berlinde de Bruycker au pavillon belge à la Biennale de Venise ? A moins d’avoir 950 000 euros en poche, et un espace XXL pour installer cette volumineuse carcasse, mieux vaut passer votre chemin* , conseille la journaliste. Il vous reste toutefois une solution de rattrapage , nous rassure-t-elle* : acheter à la Foire de Bâle une version plus maniable de cette pièce pour 250 000 euros.* Entre la biennale de Venise – un événement supposé « non commercial » mais grandement subventionné par les galeries – et la plate-forme marchande d’Art Basel, les vases communicants fonctionnent à plein régime. Depuis que le marché de l’art a décollé, dans les années 2000, la Biennale est devenue pour les collectionneurs et musées les mieux dotés une source d’approvisionnement en pièces inédites. Certains y font leurs emplettes, d’autres attendent la Foire de Bâle pour les finaliser. Trois institutions sont actuellement sur les rangs pour acquérir la formidable installation vidéo du Libanais Akram Zaatari, racontant l’histoire d’un soldat israélien qui a refusé de bombarder une école à Saïda, en 1982. Le MoMA de New York a quant à lui réservé l’une des plus imposantes sculptures de l’artiste Mark Manders dans le pavillon néerlandais. D’aucuns s’offusquent que la Biennale ait perdu son innocence pour devenir une place de marché comme une autre. Rien de nouveau sous le soleil puisque, de 1942 à 1968, cette manifestation disposait d’un bureau commercialisant les œuvres exposées. Sauf qu’on ne vend pas en un tournemain les méga-productions d’aujourd’hui.

Pour les galeries qui ont financé ces pièces ambitieuses, Bâle permet de retrouver, si ce n’est leurs mises, du moins quelques billes. Dans ce but, elles proposent des pièces similaires mais à taille humaine, voire des produits dérivés. Faute de grives, mangeons des merles. Pourtant, la variante miniature de l’arbre supplicié de Berlinde de Bruycker, présentée sur le stand de la galerie Continua, ne s’expérimente pas de la même façon que l’original, isolé dans une salle crépusculaire , juge la critique du Monde . « A Bâle, il y a trop de choses autour de l’œuvre*, admet l’artiste belge. * Mais les collectionneurs sont habitués aux foires et peuvent faire abstraction de ça. » Tous les amateurs avertis ne tiennent pas ce raisonnement. La collectionneuse Patrizia Sandretto Re Rebaudengo possède ainsi une fondation à Turin et joue dans la même cour que les grandes institutions. Prise de vitesse par le MoMA pour l’œuvre de Mark Manders à Venise, elle ne s’est pas laissé séduire par les ersatz de l’artiste hollandais que toutes ses galeries ont sortis de leurs chapeaux à Bâle. L’effet « vu à Venise » n’est d’ailleurs pas systématique. Les œuvres fortement sexuées du Turc Yürksel Arslan bénéficient d’un mur entier à la Biennale. Les collectionneurs ne se sont pas pour autant rués sur le solo show osé que propose la galerie turque Dirimart à Bâle. * « Seules deux ou trois personnes sont venues nous voir en disant qu’elles avaient découvert son travail à Venise. Nous n’avons vendu qu’à des Turcs qui le connaissaient déjà », confie Tankut Aykut, directeur de la galerie. Malgré ses talents de dessinateur, Arslan reste un outsider. Or à Venise comme à Bâle, tout le monde brigue les têtes d’affiche.”*

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