Depuis l'instauration d'un couvre-feu, les Pays-Bas sont confrontés à des violences urbaines chaque nuit. Le gouvernement dénonce de simples raids de casseurs, mais la presse y voit le symptôme d'un mal-être lié à la pandémie. L'UE face à des retards en série dans les livraisons de ses vaccins.
Les Pays-Bas viennent de vivre leur troisième nuit consécutive de violences urbaines, sur fond de couvre-feu imposé depuis samedi.
Les chiffres des bilans policiers s'affichent en Une des quotidiens néerlandais ce matin : 151 casseurs arrêtés, dénombre De Volkskrant, dans plusieurs villes touchées par ces émeutes, dont le Premier ministre Mark Rutte affirmait lundi déjà, qu'elles n'étaient rien d'autre que "de la violence criminelle" sans foi ni loi, l'oeuvre de "bandes de jeunes qui veulent piller des magasins, et se confronter aux forces de l'ordre" sans aucun lien avec les manifestations anti-couvre-feu que l'on a pu voir samedi aux Pays-Bas.
A Rotterdam ce lundi soir, précise le quotidien Trouw, il y avait environ 300 fauteurs de trouble qui ont en effet saccagé plusieurs vitrines et caillassé un commissariat. Des policiers, encerclés, ont dû tirer un coup de semonce pour faire reculer la foule. Le calme est revenu dans la soirée, environ deux heures après le début des échauffourées ; les dégâts subis par les commerçants et la collectivité vont être importants, anticipe le site nu.nl.
Voilà pour le bilan factuel de cette troisième nuit de violences comme les Pays-Bas n'en avaient pas connu, nous répète-t-on, "depuis 40 ans". Mais à bien lire la presse néerlandaise ce matin, on sent bien qu'il y a quelque chose qui cloche, ou en tous cas, qui manque dans ces récits préfectoraux. Il y a surtout une question, qui affleure un peu partout : peut-on vraiment parler d'accès de violence pure et hors-sol, peut-on vraiment (comme tentent de le faire les autorités) décorréler ce qui se passe depuis trois nuits du contexte plus global de la pandémie, du couvre-feu instauré, et du mal-être social que tout cela entraîne ?
La réponse est quasi-unanime : non, bien sûr, la violence n'est pas un phénomène qui surgit de nulle part, elle est un symptôme, pour reprendre un terme médical avec la psychologue citée par l' Algemeen Dagblad : selon donc Carsten de Dreu, "l'histoire nous montre que les troubles sociaux surviennent toujours en marge des grandes épidémies", parce que les privations de liberté, comme le couvre-feu, créent des frustrations, renforcent des inégalités déjà mal vécues, invisibilisent les pans les plus vulnérables de nos populations". La contrainte sanitaire et la rupture qu'elle implique amène aussi chez beaucoup une "perte de repères, un besoin de se confronter à la limite, à l'autorité"... En particulier chez les plus jeunes.
Dans d'autres journaux néerlandais, on questionne aussi la réaction des forces de l'ordre pendant les manifestations du week-end. De Volkskrant, à nouveau, publie en page Opinions un article de l'avocat Willem Jebbink qui critique la manière dont la police a répondu "avec une violence disproportionnée" à la manifestation (plutôt) pacifique de dimanche sur le Museumplein, la place des musées d'Amsterdam. Bien sûr, des feux d'artifices ont été lancés vers les cordons de police ; bien sûr, des vélos ont été incendiés et tout cela n'est pas acceptable, mais la riposte ne l'a pas plus été : matraques, charges de chevaux et de chiens policiers, canons à eau. Cette déferlante de "violence brute" de la part des forces de l'ordre, écrit l'avocat, n'a fait qu'aggraver encore la détermination des manifestants, et de tous ceux qui ont vu ces images (tout en augmentant, soit dit en passant, le risque de circulation du coronavirus). En bref, tout ça "dénote dangereusement dans une société démocratique" comme celle des Pays-Bas, conclut Willem Jebbink.
J'en termine avec un peu de recul, proposé par l'analyse d'Anna Holligan la correspondante de la BBC à la Haye. Elle affirme que nombre de Néerlandais sont rongés par la "frustration" et la défiance contre leur gouvernement qui leur impose aujourd'hui des contraintes sanitaires très strictes parce qu'il n'a pas été capable d'en imposer des plus progressives dès le printemps dernier. À l'époque le pays faisait partie de ceux qui se contentaient de s'en remettre au sens des responsabilités et à l'auto-discipline de sa population qu'il disait ne pas vouloir "infantiliser" en la confinant ou en l'obligeant à porter le masque. Le contrecoup aujourd'hui est douloureux, surtout quand on y ajoute (et c'est la conclusion d'Anna Holligan pour la BBC) le fait que les Hollandais n'ont pas compris pourquoi leur pays a été le dernier à lancer sa campagne de vaccination au sein de l'Union européenne.
L'Union européenne et les déboires de sa stratégie vaccinale sont d'ailleurs au centre de l'actualité dans plusieurs pays, ce matin.
En Allemagne par exemple, la Suddeutsche Zeitung revient sur la conférence de presse tenue lundi soir par la Commissaire européenne à la Santé, au cours de laquelle Stella Kiryakides a haussé le ton face au laboratoire AstraZeneca : le producteur britannique du vaccin qui devrait être autorisé dans l'UE ce vendredi a annoncé unilatéralement qu'il ne pourrait pas honorer comme prévu son contrat passé avec les 27, ou en tous cas qu'il y aurait des retard dans les livraisons à cause de "baisses de rendement" dans son usine de Grande-Bretagne.
Voilà qui ne va pas arranger la tenue des objectifs de vaccination européens, déjà retardés un peu partout chez nous et chez nos voisins. Mais Bruxelles a bien peu de moyens de riposter face au labo, nous explique The Financial Times, et pour sécuriser son approvisionnement en vaccins, l'UE affirme qu'elle va durcir les règles d'exportation des doses de vaccins produites sur le sol européen pour être livrés ensuite ailleurs dans le monde. C'est ce que font déjà les Etats-Unis, on les a critiqués pour ça, parlant de protectionnisme vaccinal, l'Europe s'est vantée à l'inverse de jouer collectif... Mais là, elle menace de faire tout l'inverse, privant des pays des commandes qu'ils avaient passées, pour sécuriser les siennes propres.
Et ça inquiète tout particulièrement la presse britannique, The Guardian en tête, qui y voit un risque pour les livraisons des vaccins Pfizer qui sont essentiels à la campagne de vaccination massive outre-Manche, et qui sont produits dans une usine en Belgique. Voilà qui pourrait augurer des tensions à venir, entre Londres et Bruxelles... Et voilà qui nous interroge surtout sur la manière dont l'UE gère ses commandes groupées de vaccins. "Est-ce à dire, s'interroge Richard Werly pour Le Tempsà Genève, que l'Union, malgré ses commandes massives de 2,3 milliards de doses à six laboratoires, se serait laissée berner par les promesses intenables de ces industriels ?" C'est "toute la crédibilité de l'Europe qui se retrouve aujourd'hui dans le collimateur [...] une Europe qui doit d'urgence démontrer son efficacité, condition indispensable de la confiance" de ses citoyens.
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