Biélorussie : vers une victoire de Loukachenko et le chaos dans les rues

Les téléphones portables comme flambeaux de la liberté, selon BILD
Les téléphones portables comme flambeaux de la liberté, selon BILD ©AFP - Siarhei LESKIEC
Les téléphones portables comme flambeaux de la liberté, selon BILD ©AFP - Siarhei LESKIEC
Les téléphones portables comme flambeaux de la liberté, selon BILD ©AFP - Siarhei LESKIEC
Publicité

L’autocrate Alexandre Loukachenko est donné victorieux avec près de 80% des suffrages contre l'opposante surprise Svetlana Tsikhanovskaïa. Dès hier soir, des milliers de Biélorusses sont sortis dans les rues pour dénoncer une fraude présumée. Le pouvoir a de nouveau réprimé la contestation.

C'est une élection présidentielle pour le moins chaotique constate ce matin la BBC. Le dirigeant sortant Alexander Loukachenko se présentait à un sixième mandat. Vingt-six ans de pouvoir sans partage sur ce pays d'un peu moins de 10 millions d'habitants. Face à lui se tenait une nouvelle venue en politique, arrivée là, non pas par hasard, mais poussée par le destin : Svetlana Tikhanovskaïa, 37 ans, professeur d'anglais de formation, devenue candidate de l'opposition, à la place de son mari, Sergey Tikhanovsky, militant, blogueur et cinéaste, arrêté par le pouvoir en mai. 

On l'a déjà expliqué, la campagne électorale a été marquée par une mobilisation exceptionnelle en faveur de Tikhanovskaïa, au point que le pouvoir a dû redoubler d'efforts en fin de campagne pour tenter de casser la dynamique de son opposante. La cheffe de son QG de campagne par exemple, Maria Moroz, a été arrêtée samedi ainsi que neuf autres de ses collaborateurs. Et hier également, jour de vote, le camp Loukachenko a bien fait en sorte que rien n'entrave la victoire de son candidat. Les militaires ont été déployés à Minsk la capitale. Pour la première fois depuis 2001, précise le journal allemand Die Zeit, il n'y avait aucun observateur européen de l'OSCE sur place. Quant aux observateurs électoraux indépendants, ils ont été gênés dans leur travail, voire pas du tout autorisés à travailler. D'ailleurs, le média indépendant biélorusse TUT.by partage de nombreux messages de personnes qui déclarent avoir été témoins d'irrégularités. Par exemple, des membres d'un bureau de vote dans une école qui refusent aux électeurs présents et aux observateurs indépendants d'afficher le procès-verbal avec les résultats. Ailleurs, présidents et assesseurs qui quittent le bureau de vote en douce, par une porte arrière, sous escorte de la police. Ou encore, des procès-verbaux édités mais non signés, ce qui rend la comptabilisation impossible.

Publicité

Au moins à la télévision d'Etat, raconte avec espièglerie Die Zeit, tout s'est déroulé comme prévu pour Alexander Loukachenko. Les sondages de sortie des urnes ont été annoncés en fin de journée, donnant à l'autocrate une large victoire avec 79,7% des voix, contre 6,8% des voix pour Tikhanovskaïa. Puis, sur la chaîne publique Belarus24, a été diffusé un documentaire animalier sur les habitants des forêts du pays. Et alors que des blaireaux parcouraient des sous-bois à la télévision, c'est une image complètement différente de la Biélorussie et du déroulé des événements post-scrutin qui ont émergé sur les réseaux sociaux : violences policières, arrestations arbitraires, véhicules militaires. Une vague de répression sans précédent, même selon les normes biélorusses, conclut Die Zeit

Dès l'annonce des sondages de sortie de urnes, des milliers de biélorusses sont allés dans les rues pour dénoncer la fraude électorale présumée. Difficile d'avoir des chiffres précis de la mobilisation car l'Internet mobile a été désactivé en fin de journée dans le pays et de nombreux sites internet de médias ont été longtemps indisponibles, révèle le site d'info indépendant biélorusse Meduza. J'ai fait le test, impossible encore ce matin d'avoir accès au site de l'agence d'État Belta ou à celui du journal Nasha Niva. 

De nombreux rassemblement sont néanmoins attestés dans tout le pays, Minsk, Brest, Pinsk, Gomel et Grodno. Le journal allemand Tagesschau évoque jusqu'à 100 000 personnes dehors. Des marches pacifiques principalement, avec certains qui tentaient tout de même de monter des barricades. A Grodno, nous raconte TUT.by, les forces de l'ordre se sont déployées dans le centre ville dès le coucher de soleil quand des protestataires ont commencé à se rassembler sur la place centrale. La police a alors formé trois lignes, l'une derrière l'autre, et avancé en direction des manifestants arrêtant tous ceux qui se trouvaient sur leur passage : protestataires mais aussi simples badauds qui étaient là en train de se promener dans la rue ou assis à une terrasse de café, et qui comprennent rapidement, qu'il n'y aura pas de différenciation, qu'ils doivent se cacher dans des buissons pour tenter d’échapper aux offensives policières. 

Pour afficher ce contenu Twitter, vous devez accepter les cookies Réseaux Sociaux.

Ces cookies permettent de partager ou réagir directement sur les réseaux sociaux auxquels vous êtes connectés ou d'intégrer du contenu initialement posté sur ces réseaux sociaux. Ils permettent aussi aux réseaux sociaux d'utiliser vos visites sur nos sites et applications à des fins de personnalisation et de ciblage publicitaire.

Officiellement, nous explique Reuters, les autorités n'ont comptabilisé aucun blessé à cette heure mais les images trahissent cette version. On voit dans le détail et en action, l'imposant dispositif policier déployé, l'arsenal répressif mis en place pour étouffer tout semblant de contestation. Les cannons à eau qui tirent sur les foules, les matraques qui virevoltent avant de s'abattre sur les corps des manifestants. Des silhouettes policières toutes de noir vêtues, le visage cagoulé ou caché derrière une visière, certaines portant un grand bouclier en métal. Et puis un balai d'ambulances qui prennent en charge des personnes blessées. Ou encore, des photojournalistes interpellés, appareil photo à la main. Les témoignages de manifestants et de journalistes présents sur place parlent de personnes suffoquant à causes des gaz lacrymogènes, de têtes ensanglantées, de bras et de jambes mutilés par les explosions de grenades de désencerclement. "L'un des manifestants a eu la poitrine déchirée", rapporte même le journal russe Kommersant

Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.

Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.

Autre image saisissante, qu'on retrouve dans de nombreux journaux, celle des manifestants, par dizaines de milliers, dehors, dans le noir avec au loin face à eux des rangées de policiers anti-émeute, et qui brandissent leur portables vers le ciel, comme d'autres lèvent le poing en signe de lutte. Les téléphones portables comme flambeaux de la liberté, légende le quotidien allemand BILD sous une de ses photos. Ou encore l'image de ce couple, sur une sorte de scooter, venu narguer une rangée de policiers en armure et bouclier. La femme est souriante, habillée en robe de mariée. Les deux, sans peur, lèvent chacun une main au ciel, en faisant un V de la victoire qui leur est volée. 

Mais la victoire, serait plutôt dans le camp de l'opposition selon Svetlana Tikhanovskaïa. "Je crois en ce que je vois de mes propres yeux et je vois que la majorité est derrière nous", a-t-elle déclaré dans la soirée. La commission électorale doit publier ce matin les résultats préliminaires, et même s'il y a très fort à parier qu'ils ne lui seront pas favorables, Tikhanovskaïa a déjà marqué les esprits. Elle se s'est pas encore prononcée sur la suite à donner à la contestation, mais elle a déjà remporté une victoire politique forte. "Je crois que nous avons gagné parce que nous avons surmonté notre peur", a t-elle expliqué hier soir, "n_ous avons surmonté notre apathie politique, nous avons surmonté l'apathie et l'indifférence. Ce sont des victoires qui sont plus importantes que toutes les autres victoires._"