De quelle façon débute un cauchemar ?

Un manifestant palestinien jette des pierres vers les soldats israéliens, lors d'une manifestation près de la frontière entre la bande de Gaza et l'Etat hébreu.
Un manifestant palestinien jette des pierres vers les soldats israéliens, lors d'une manifestation près de la frontière entre la bande de Gaza et l'Etat hébreu. - MOMEN FAIZ / NURPHOTO
Un manifestant palestinien jette des pierres vers les soldats israéliens, lors d'une manifestation près de la frontière entre la bande de Gaza et l'Etat hébreu. - MOMEN FAIZ / NURPHOTO
Un manifestant palestinien jette des pierres vers les soldats israéliens, lors d'une manifestation près de la frontière entre la bande de Gaza et l'Etat hébreu. - MOMEN FAIZ / NURPHOTO
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Israël rejette les appels internationaux à une enquête indépendante, après la mort de 16 Palestiniens tués par l'armée israélienne, au cours d'une manifestation organisée le long de la frontière entre Gaza et l'Etat hébreu.

Mais que diable s'est-il passé ? La question soulevée par THE NEW YORK MAGAZINE témoigne, ce matin, de la stupéfaction qui a saisi toute la presse, ce weekend, après la flambée de violence meurtrière observée le long de la frontière israélienne avec Gaza. La marche des Gazaouis organisée vendredi dernier devait être une manifestation non violente, destinée à réclamer le droit pour les réfugiés palestiniens de rentrer en Israël, mais aussi à sensibiliser la communauté internationale sur le blocus qui, depuis tant d'années, étrangle la petite enclave côtière. Au final, elle aura donc surtout remis à l'ordre du jour la question palestinienne avec une rare intensité. En quelques heures à peine, la marche pacifiste s'est transformée en véritable champ de batailles : 16 Palestiniens au total ont été tués et plus de 1.400 autres blessés, soit la journée la plus meurtrière dans la bande de Gaza depuis la guerre de 2014. Et si ce matin le calme semble revenu, note THE NEW YORK TIMES, c'est surtout pour mieux laisser la place, dit-il, à une violente guerre à la fois des mots et des images.

Tout d’abord, de part et d'autre de la ligne de front, des vidéos censées désigner l'agresseur ont été largement diffusées sur les réseaux sociaux. Celles produites par l'armée israélienne montrent des jeunes combattants lançant des pierres et autres cocktails Molotov ou bien faisant rouler des pneus en flamme le long de la barrière ultra sécurisée. A l'inverse, une vidéo en particulier a été particulièrement partagée ce weekend : on y voit deux hommes en train courir. Ils s'éloignent de la frontière pour rejoindre un autre groupe de manifestants Palestiniens. L'un d'eux tient un pneu dans les mains quand soudain il s'effondre, abattu d'une balle dans le dos tirée par l'armée israélienne. 

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A présent, quand les Palestiniens accusent, aujourd'hui, Israël d’usage disproportionné de la force, de son côté, l'Etat hébreu rétorque avoir agi pour empêcher une dangereuse violation de ses frontières et précise, par ailleurs, avoir prévenu qu'il n’hésiterait pas à donner l’ordre d’ouvrir le feu si des Palestiniens s’approchaient de la barrière de sécurité.  

D'où cette question : faut-il en déduire que la marche des Gazaouis ne pouvait s'achever que dans le sang ?Dans la région, précise la correspondante du TEMPS, chacun en réalité redoutait l’événement. Tous les ingrédients étaient, en effet, réunis pour que la «marche du retour» dégénère en violences inédites, à commencer par la désespérance dans la bande de Gaza, éprouvée par les guerres, la réclusion, la pauvreté et les pénuries. A cela il faut opposer l’allégresse des Israéliens à l’heure de célébrer le 70ème anniversaire de la création de l'Etat hébreu et qui vient inévitablement rappeler aux Palestiniens leur défaite. Sans oublier le transfert de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem qui ne fait qu'ajouter un peu plus encore au sentiment d'humiliation vécu par les Palestiniens. Et puis, si la marche des Gazaouis a été d’une telle ampleur, ce n’est pas seulement en raison du statut de Jérusalem ou de la proclamation d’indépendance israélienne, autour desquels les protagonistes se font la guerre depuis tant d'années. Cette manifestation s’inscrit, aussi, dans un regain de tensions interpalestiniennes entre d'un côté le Fatah de Mahmoud Abbas, qui contrôle la Cisjordanie, et de l'autre le Hamas à Gaza.

Netanyahu. Vous êtes un envahisseur.

Toujours est-il que cette journée meurtrière a suscité l'indignation de la communauté internationale. Le président turc Recep Tayyip Erdoğan, notamment, a qualifié hier le Premier ministre israélien de «terroriste». Ce à quoi Benjamin Netanyahu a répondu, sur Twitter, que Tsahal n'avait «pas de leçon à recevoir de la part de gens qui bombardent aveuglément depuis des années des populations civiles». La joute verbale s'est ensuite prolongée toute la journée. Erdoğan, le premier, est revenu à la charge : «Netanyahu. Vous êtes un envahisseur». Réponse, là encore, de l'intéressé : «Erdoğan n'est pas habitué à ce qu'on lui réponde, mais il va falloir qu'il s'y habitue. Lui qui occupe Chypre, qui empiète sur le territoire kurde et qui massacre des civils à Afrin ne va pas venir nous parler de valeurs et nous donner des leçons de morale». Et puis surtout le Premier ministre israélien a rejeté, en réalité, toutes les critiques, d’où qu’elles viennent, félicitant même l'armée «la plus éthique du monde». 

Aux frontières du réel  

Et puis, lui aussi, a été désigné ce weekend comme un «envahisseur». Lui, c'est Emmanuel Macron. Deux jours après qu'une équipe de douaniers français a fait irruption du côté italien de la frontière, dans un local réservé à une association qui vient en aide aux migrants, toute la presse italienne tirait à boulets rouges hier sur la France, relève le site du Courrier International et plus particulièrement donc sur son président. Quand le quotidien de droite IL GIORNALE accuse Emmanuel Macron de jouer les caïds, son confrère communiste Il MANIFESTO se frappe le front : nous sommes aux frontières du réel! C’est une insupportable violation de notre souveraineté nationale, s’indigne à son tour Il MESSAGERO. Les Français violent les frontières italiennes, renchérit LA STAMPA. Basta!, s’écrie pour sa part Il RESTO DEL CARLINO qui, en légende d'une photo d’Emmanuel Macron particulièrement énervé, titre : L’envahisseur. Le CORRIERE DELLA SERA, lui, enfonce un peu plus encore le clou en rappelant les poursuites de migrants à la frontière de Vintimille, mais aussi la façon dont a été démantelée la «jungle» de Calais ou bien encore l’incrimination grotesque, récemment, d’un guide alpin français coupable d’avoir secouru une migrante sur le point d’accoucher. 

Mais le plus stupéfiant, conclue LA REPUBBLICA, c’est surtout la contradiction entre d'un côté les déclarations de principes du président Macron et de l'autre les actions concrètes des agents français. On ne peut pas se déclarer solidaire avec l’Italie et, en même temps, concevoir d’ériger des murs, exactement comme le font déjà la Hongrie, la Pologne ou la Slovaquie. Et le journal de s'interroger : Emmanuel Macron n’avait-il pas invoqué une «Europe ambitieuse» et solidaire pour empêcher les frustrations d’alimenter la montée des courants populistes ? Ne s’était-il pas fait le paladin d’une politique européenne commune ? Quoi qu'il en soit, hier, le ministre des comptes publics Gérald Darmanin (ministre de tutelle de la Douane) a aussitôt fait savoir qu'il se rendrait en Italie pour «s'expliquer». 

Par Thomas CLUZEL