

Chaque matin, l’actualité vue au travers de la presse étrangère. Aujourd’hui : Un cessez-le-feu global en Syrie entre régime et rebelles est entré en vigueur, en vertu d'un accord conclu sous l'égide de la Russie et de la Turquie, sans les Etats-Unis.
II était 23h, hier soir en Syrie, lorsque le cessez-le-feu conclu sous l'égide de la Russie et de la Turquie est entré en vigueur. Or après l’échec de toutes les initiatives en ce sens (depuis le début de la guerre en mars 2011), il ne serait pas totalement illégitime de douter aussi de cette dernière annonce, remarque le quotidien VOLKSSTIMME. Mais à en croire les différentes agences de presse, ce matin, à l'exception de quelques accrochages (notamment dans la province de Hama dans le nord du pays), depuis minuit, force est de constater que la trêve entre le régime de Damas d'un côté et les rebelles de l'autre est globalement respectée dans la plupart des régions de Syrie.
Et avant de s'intéresser aux si précieux "dessous des cartes", que prévoit, tout d'abord, ce plan inattendu conçu à Moscou ? Comme l'a précisé lui-même à la télévision, hier, le président Vladimir Poutine, trois documents ont été signés : un premier entre le gouvernement et l'opposition armée sur un cessez-le-feu sur l'ensemble du territoire ; un deuxième sur les mesures visant à faire respecter cette trêve ; quant au troisième document, il s'agit d'une déclaration d'intention visant à démarrer, courant janvier au Kazakhstan, des négociations pacifiques pour le règlement du conflit.
Toujours selon la Russie, cet accord de cessez-le-feu a été approuvé par les principales forces de la rébellion, 7 groupes au total, qui de l'aveu même du ministre russe de la Défense, rapporte le quotidien KOMMERSANT, compterait aujourd'hui quelques 62 000 combattants. Une précision qui n'est pas totalement anodine puisque c’est tout simplement la première fois que Moscou donne une estimation aussi précise de l’opposition syrienne dite modérée, dont les médias officiels russes nient généralement l’existence, au profit de groupes djihadistes radicaux. Un communiqué du Kremlin a, d'ailleurs, qualifié Ahrar al-Cham (le groupe le plus radical qu'on puisse espérer voir discuter avec Damas) de groupe rebelle modéré. Même la chaîne de télévision du régime, AL-MAYADEEN, a changé sa rhétorique et se met à qualifier les terroristes d'hier d'opposition armée. Sauf que ce qui apparaissait comme un véritable tour de force, inclure Ahrar al-Cham à cet accord de cessez-le-feu, semble d'ores et déjà remis en question. THE WALL STREET JOURNAL précise, ce matin, à sa Une que le puissant groupe rebelle n'a pas signé la trêve. C'est du moins ce que laisse entendre un porte-parole du groupe islamiste sur son compte Twitter.
Enfin chacun aura remarqué qu'il manque, évidemment, un grand absent dans cette initiative de règlement du conflit, note LA TRIBUNE DE GENEVE. Les Etats-Unis ont été purement et simplement écartés des négociations. Le Kremlin leur proposera, peut-être, de s'associer au processus de paix, mais uniquement après l'entrée en fonction de Donald Trump. Et d'ailleurs, précise le journaliste Nicolas Hénin dans les colonnes de L'ORIENT LE JOUR, si pour l'instant c'est surtout Moscou et Ankara qui ont dessiné les grandes lignes de cet accord, il leur faudra certainement, à très court terme, adjoindre les États-Unis, l'Europe et les pays arabes, ne serait-ce que parce qu'un soutien politique et financier sera nécessaire pour la suite.
Mais, pour l'heure, les deux puissances qui semblent s'imposer comme les véritables maîtres du jeu en Syrie sont d'un côté la Russie et de l'autre la Turquie. Cet accord est avant tout un succès de la diplomatie russe, note le quotidien turc MILLIYET. Moscou dicte actuellement ses conditions en Syrie. D'abord parce que la Russie veut établir une base solide au Proche-Orient. Et puis ça n'est évidemment pas sans une certaine satisfaction, note le quotidien DONAUKURIER, que le stratège Poutine fait ici la démonstration que son pays, en tant que puissance garante, détermine aujourd'hui seul l’avenir de la Syrie, sans aucune concurrence de la part de Washington.
Et puis l'autre grand vainqueur c'est la Turquie. Sans elle, l’entrée en contact avec l’opposition syrienne aurait été quasi impossible, note un expert interrogé dans les colonnes de NEZAVISSIMAÏA GAZETA repéré le Courrier International. Le fait est que la Turquie a des contacts solides avec l'opposition. Mieux, Ankara contrôle l’Armée syrienne libre. Sauf que le président turc sait que ceux qu'il soutenait jusqu'à présent ne sont plus en mesure de faire chuter militairement Bachar el-Assad, note DIE TAGESZEITUNG. En ce sens, analyse son confrère chypriote POLITIS, la Turquie a donc effectué un virage à 180 degrés. Elle a pris ses distances avec ses alliés initiaux. Pour ainsi dire, elle est même passée dans le camp adverse. Erdoğan, qui avait pourtant juré de renverser Assad, l’appellera bientôt 'mon frère' comme si de rien n’était, écrit l'éditorialiste, avant d'en conclure : Les amis d’hier sont devenus les ennemis d'aujourd’hui.
Mais, après tout, personne ne sera surpris qu'en remplissant le vide laissé par d'autres, Moscou et Ankara agissent aujourd'hui dans la perspective de leurs propres intérêts, admet à nouveau le quotidien VOLKSSTIMME. Et si cet accord conclu, hier, devait réellement favoriser la paix, alors pourquoi pas ?
Reste que cette initiative pourrait encore se heurter à deux obstacles, prévient le quotidien en ligne GAZETA : Tout d'abord, pour Moscou et Ankara, la priorité doit être de lutter contre le terrorisme et non d'orchestrer un changement de régime à Damas. Or le projet de résolution franco-britannique à l’ONU prévoit, lui, la mise en place de sanctions contre la Syrie. D'autre part, l'accord conclu hier n’inclut pas les forces kurdes, sur lesquelles Moscou et Ankara s’opposent. La Turquie, on le sait, veut éviter à tout prix la création d’un Etat kurde indépendant. Ce faisant, comment la lutte contre Daech peut-elle être intégrée dans cet imbroglio, reste toujours un mystère, note à nouveau le journal de Magdebourg. Enfin l'accord d'hier ne concerne évidemment pas l’organisation djihadiste Etat islamique, le Front Al-Nosra, ni aucun des groupes qui leur sont liés. Or tant que les islamistes ne seront pas vaincus, il ne pourra pas y avoir de paix en Syrie !
Par Thomas CLUZEL
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