

Chaque matin, l’actualité vue au travers de la presse étrangère. Aujourd’hui : Les frappes américaines contre le régime de Bachar el-Assad ont surpris toutes les chancelleries mais aussi radicalisé le camp d'en face. S’agit-il de la part de Donald Trump d’un coup de force, de bluff ou de maître ?
Si le jeu de Donald Trump, alors qu’il n’était encore que candidat à l’élection présidentielle, semblait assez clair aux yeux de tous (sa sympathie affichée à l’égard de la Russie, sa haine de la Chine ou son indifférence vis-à-vis du conflit syrien), c’est peu de dire qu’en quelques jours à peine il aura réussi, en tant que président cette fois-ci, à brouiller toutes ses cartes. De sorte que si certains se demandent encore quelle est aujourd'hui la règle du jeu suivie par la nouvelle administration américaine, écrit ce matin THE NEW YORK TIMES, la réponse semble désormais pouvoir se résumer ainsi : Surtout ne pas suivre, justement, la moindre règle. 4 jours après avoir éructé des missiles, Trump ne prouverait au fond qu'une seule chose, renchérit DER STANDARD, qu’il mène aujourd'hui sa politique étrangère de la même façon que tout le reste dans sa vie, comprenez de manière spontanée, impulsive, voire narcissique.
Mais, en dépit des apparences, nombre de commentateurs jugent qu'il y a bien, en réalité, une stratégie derrière le bombardement américain en Syrie. Contrairement à ce que défend un journaliste du GUARDIAN, Trump n'aurait pas agi sur un coup de tête. Il y aurait même à peu près autant de raisons à ce geste que de missiles tirés. 59 Tomahawk et tout autant de messages, c'est le titre notamment de cet édito à lire dans les colonnes du TEMPS. Tout d'abord, dans cette quête de sens, il est à souligner que Donald Trump a donné le feu vert au moment précis où il recevait son homologue chinois. Or il aurait pu aisément attendre 24 heures pour frapper la Syrie, et ainsi éviter l’embarras à un hôte qui soutien systématiquement la Russie, pour bloquer toute résolution de l’ONU visant le régime de Bachar el-Assad. Mais s’il ne l’a pas fait, c’est précisément pour délivrer un double message à la Chine. Donald Trump signifie, d'une part, que les Etats-Unis sont à nouveau prêts à agir de façon unilatérale. Ou dit autrement, le shérif est de retour. D'autre part, il n’aura évidemment pas échappé aux oreilles de Pékin que le même Donald Trump avait déclaré, quelques jours plus tôt, qu’il envisageait d’intervenir seul en Corée du Nord, si la Chine n’en faisait pas plus pour stopper le programme nucléaire de son protégé. Or après les frappes en Syrie, l’hypothèse d’une attaque américaine unilatérale contre des sites nord-coréens devient soudain plausible.
Et puis outre la Chine et la Corée du Nord, l’un des destinataires principaux du «message» envoyé par Donald Trump est, évidemment, la Russie. Voilà plusieurs mois maintenant que Trump se débat dans les accusations visant certains de ses collaborateurs sur leurs connexions supposées avec le Kremlin, rappelle le magazine SLATE. Et en s’en prenant directement à l’armée de Bachar el-Assad (l’allié que Vladimir Poutine a tout fait pour sauver), Donald Trump répond ainsi indirectement à ceux qui l’accusent d'être trop proche de l'autocrate de Moscou. Ce qui n'est pas anodin, étant entendu que l’enquête au Congrès américain sur les liens entre l’équipe de campagne de Trump et la Russie est aujourd'hui une vraie menace pour l’avenir même du président. Et puis à la veille de la visite, demain, du secrétaire d'Etat Rex Tillerson en Russie, les Etats-Unis renforcent ainsi leur position de négociation. En d'autres termes, au slogan « America first » s’en ajoute désormais un autre : « America is back ».
Et puis l'on pourrait encore avancer une raison supplémentaire à cette action inattendue de la part des Etats-Unis en Syrie : Donald Trump, c’est d’abord et avant tout l’anti-Obama. Le passage à l’acte de Trump est aussi une manière, en effet, de se démarquer de son prédécesseur. En 2013, Barack Obama avait laissé Bachar el-Assad franchir la ligne rouge de l’utilisation d’armes chimiques. Or pour de nombreux observateurs, la passivité d'Obama avait été un moment clé de sa présidence, soulevant des questions fondamentales sur sa crédibilité, rappelle THE FINANCIAL TIMES. En ce sens, Donald Trump a saisi l’occasion de se différencier. Evidemment, l'argument est on ne peut plus cynique. En clair, il revient à dire qu'au moment où Trump a désespérément besoin de détourner l’attention du désastre que constituent ses 70 premiers jours de mandat, Bachar el-Assad, avec sa brutalité, est en train de se transformer en bouée de sauvetage pour le président américain, constate avec amertume le correspondant à Washington de LA REPUBBLICA. En d’autres termes, parce qu'une guerre (ou une action militaire bien médiatisée) offre toujours le salut aux présidents en difficulté, l’horreur universelle suscitée par l’attaque chimique en Syrie offrait une occasion parfaite et indiscutable.
Pour autant, la stratégie américaine s'agissant de la Syrie reste pour le moins confuse. Interrogée hier sur la chaîne NBC, l'ambassadrice américaine à l'ONU a assuré qu'il n'existait « aucune solution politique avec Assad à la tête du régime ». Ce qui paraît en totale contradiction avec ses déclarations, une semaine plus tôt, puisqu'elle affirmait : « Notre priorité n’est plus de déloger le président syrien ». Ses propos semblent, donc, augurer un possible virage à 180° du président américain. Et pourtant, à lire ce matin THE WALL STREET JOURNAL, l'action militaire menée contre le régime de Damas ne signifierait pas que l'administration américaine envisage de déloger Bachar el-Assad du pouvoir. Non, la cible principale de Trump en Syrie, titre le quotidien américain, reste d'abord et surtout l'organisation Etat Islamique.
Enfin, hasard du calendrier ou pas, on remarquera que cette action militaire des Etats-Unis, jeudi dernier, contre la Syrie aura aussi permis de passer sous silence un coup d’éclat majeur qui s’est déroulé, le même jour, au Sénat américain. Afin d’imposer la nomination du juge conservateur Neil Gorsuch à la Cour suprême, les républicains n'ont pas hésité à déclencher l’ « option nucléaire » prévue dans le règlement, précise LE TEMPS. Ils ont non seulement passer le candidat de Donald Trump en force, mais aussi changer les règles valables pour les nominations futures des juges, lesquels pourront désormais n’être élus qu’à une majorité simple et ne plus nécessiter le vote d’au moins trois cinquièmes des sénateurs. Il s’agit là d’un changement de taille, qui met fin à des décennies de tradition de compromis ; un événement qui aurait probablement suscité davantage de réactions si Washington n'avait pas décidé dans le même temps de bombarder la Syrie. D'où cette question : L'attaque de jeudi décidée par Donald Trump relève-t-elle du coup de force, du coup de bluff ou du coup de maître ?
Par Thomas CLUZEL
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