En Syrie, un fossé sépare les belligérants

Panneau indiquant les directions de Palmyre d'un côté et Damas de l'autre.
Panneau indiquant les directions de Palmyre d'un côté et Damas de l'autre.  ©AFP - STR
Panneau indiquant les directions de Palmyre d'un côté et Damas de l'autre. ©AFP - STR
Panneau indiquant les directions de Palmyre d'un côté et Damas de l'autre. ©AFP - STR
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Chaque matin, l’actualité vue au travers de la presse étrangère. Aujourd’hui : Un quatrième round de négociations sur la Syrie, en vain. Quand l'opposition souhaite aborder les questions relatives à la transition politique, le régime veut prioritairement parler de la lutte contre le terrorisme.

« Crimes de guerre », c'est sous ce titre que la FRANKFURTER ALLGEMEINE ZEITUNG a choisi de nous rappeler ce matin que l’une des batailles de la guerre en Syrie vient de s'achever à Genève. Pendant une semaine entière, en effet, les parties au conflit se sont retrouvées au siège des Nations unies, pour tenter de mettre fin à la guerre. En vain, évidemment serait-on presque tentés d'ajouter, puisqu'à l'instar des initiatives diplomatiques précédentes, chacun est resté campé sur ses positions. Est-ce la raison pour laquelle une grande partie de la presse, anticipant probablement l'échec de ces énièmes pourparlers, n'a pas jugé utile de couvrir l’événement ? Toujours est-il qu'après une semaine, force est de lui donner raison. Les négociations apparaissent aujourd'hui, plus que jamais enlisées.

Jeudi dernier, déjà, rappelle LE TEMPS, l’émissaire spécial de l’ONU, avait d'ailleurs lui-même prévenu : « Il n’y aura pas de miracle à Genève ». Et pourtant, symboliquement, Staffan de Mistura est tout de même parvenu à réunir dans la même salle, pour la première fois depuis 3 ans, le représentant du pouvoir syrien et les différentes factions de l’opposition. Un exploit si l'on se souvient que lors des négociations préliminaires, les représentants des différentes factions se trouvaient dans pièces distinctes et que l’émissaire, lui, assurait la médiation en passant de l'une à l'autre. Mais, une fois de plus, la dure réalité a vite refroidi les plus optimistes. Tandis que l’émissaire de l’ONU serrait la main des représentants de l’opposition, les délégués du régime syrien, eux, quittaient déjà la salle. En d'autres termes, résume le quotidien MILLIYET, du point de vue de la procédure comme de celui des contenus, même après six années de guerre, on ne discerne aujourd'hui aucun signe de lassitude ou de disposition au compromis parmi les belligérants.

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Tout d'abord, les deux camps s’accusent aujourd'hui mutuellement de crimes de guerre. Ce que, du reste, une Commission d’enquête internationale a confirmé cette semaine : à savoir que de tels crimes ont, en effet, été commis de toute part. D’un côté des raids aériens ciblés du régime et de ses alliés sur des zones civiles (en particulier sur un convoi humanitaire à Alep) mais aussi l’usage de gaz de combat ; et de l’autre des attaques meurtrières des groupes rebelles sur des quartiers entièrement habités par des civils. Bien entendu, la crédibilité des belligérants serait plus forte s’ils renonçaient à de telles actions et se concentraient sur des objectifs militaires. Au lieu de cela, déplore à nouveau le journal de Francfort, dans cette guerre d’usure, ce sont les civils qui, partout, sont les premières victimes.

S'agissant ensuite du rapport de force, après les succès remportés par ses troupes gouvernementales (notamment à Alep), le régime de Damas apparaît aujourd'hui encore moins disposé à engager de véritables négociations que lors de la dernière conférence (organisée au printemps dernier). Quant aux mouvements rebelles et autres groupes de l’opposition, entre-temps sensiblement affaiblis, ils sont encore moins en position d’imposer leur exigence (jusqu’ici commune), comprenez le départ du président Bachar al-Assad et la mise en place d’un gouvernement provisoire. Sans compter que plus aucun des alliés internationaux des adversaires internes du président syrien ne soutient à présent cette exigence, qu’il s’agisse de la Turquie, des Etats-Unis, de l’Arabie Saoudite ou du Qatar. De sorte que désormais, le blocage pourrait prendre fin à la seule condition que l’opposition fasse confiance à sa propre analyse, souvent réaffirmée, selon laquelle une très forte majorité de Syriens rejette Bachar al Assad et que lors d’élections libres et transparentes, il serait alors le grand perdant. Dès-lors, sa défaite lors d’élections démocratiques, écrit DIE TAGESZEITUNG, serait aussi la meilleure condition pour un processus de réconciliation inter-syrien après la guerre. Sauf que de nombreuses questions se posent, prévient aussitôt L'ORIENT LE JOUR : Comment pourrait être organisée la future consultation sachant qu'une partie importante du territoire n'est pas sous le contrôle du régime ? Est-ce que les déplacés et les réfugiés, qui composent la moitié de la population, auront le droit de voter ? Et surtout, est-ce que Bachar al-Assad aura le droit de se représenter une nouvelle fois ?

Quoi qu'il en soit, tandis que d’un côté l'opposition souhaite aborder les questions relatives à la transition politique, de l’autre, le régime continue de vouloir, prioritairement, parler de la lutte contre le terrorisme. Et c'est ainsi qu'hier, d'ailleurs, Damas et son allié russe, tout en accusant l'opposition de « prendre en otage » les pourparlers de Genève, ce sont félicités de la reprise de Palmyre aux jihadistes du groupe Etat islamique. Ce à quoi l'opposition, elle, a aussitôt répondu, en ironisant : Regarder le sort de la cité antique de Palmyre, tombée deux fois aux mains de Daech et reprise deux fois par le régime, c'est un peu comme regarder un épisode de « Tom et Jerry ».

Et la métaphore du jeu du chat et de la souris pourrait, d'ailleurs, tout aussi bien s'appliquer à ce quatrième round de négociations, lequel aura surtout mis en lumière plusieurs obstacles de taille, reprend LE TEMPS. Si la Russie, l’Iran et la Turquie avaient pu s’entendre lors des rencontres d'Astana, ils ont désormais tous trois des intérêts très divergents. Moscou commence à prendre conscience de la grande complexité moyen-orientale. Le Kremlin aimerait pouvoir stabiliser la situation syrienne au plus vite et promouvoir un gouvernement de transition (avec ou sans Bachar al-Assad) qui lui assure sa position privilégiée en Syrie. Sauf que ses intérêts butent désormais sur ceux de l’Iran, qui pousse le régime de Damas à adopter des positions extrêmes et qui fera tout pour maintenir la branche alaouite au pouvoir, afin de maintenir l’axe chiite (entre Téhéran, Damas et le Hezbollah libanais). Problème, la vision chiite de la région défendue par Téhéran irrite Ankara, mais indispose également Moscou qui n’entend pas s’enliser dans les querelles confessionnelles du Moyen-Orient. Ou dit autrement, résume d'une phrase LA LIBRE BELGIQUE, le blocage est désormais généralisé.

Sans compter que le processus de Genève n'a pas vocation, en réalité, à régler la totalité du conflit syrien, puisqu'il ne traite ni de la guerre entre les Turcs et les Kurdes, ni de celle entre les Kurdes et Daech, ni de celle entre les rebelles et les jihadistes, mais uniquement de celle qui oppose les troupes loyalistes aux rebelles modérés. Et le problème, conclue à nouveau L'ORIENT LE JOUR, c'est que c'est sans doute la plus difficile de toute à régler. Or Genève, à l'évidence, n'a pas les moyens de le faire.

Par Thomas CLUZEL

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