Guinée : toujours pas de coup d'Etat...

France Culture
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C'était le 28 septembre dernier : les élections législatives en Guinée Conakry , 11 millions d'habitants...

Le Canard Enchaîné annonça par la suite un coup d'état imminent. Deux rapports des services secrets français et américains étaient explicites, risques maximum. Le retour des vieux démons dans un pays secoué par plusieurs putschs, des dictatures caricaturales dont le pays serait sorti depuis l'élection présidentielle, il y a trois ans, d'Alpha Condé . Ce politologue âgé de 75 ans a passé 32 ans de sa vie en exil après avoir failli mourir en prison.

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Les législatives sont des élections très ethnicisées, en Guinée comme dans d'autres pays voisins. La semaine dernière, les résultats provisoires sont tombés. Le parti au pouvoir est arrivé en tête mais sans majorité absolue. 53 sièges sur 114 . Un score qui a donné lieu à des négociations classiques pour convaincre deux petits partis de rejoindre la majorité. Ces résultats de législatives ont été contestés, fortement. Malgré la présence d'observateurs de l'Union européenne et de l'Union Africaine, il a été question de dysfonctionnements graves et l'opposition guinéenne, depuis une semaine, réclame l'annulation de ce scrutin censée asseoir le renouveau démocratique de la Guinée. Mais il n'y a pas eu de coup d'état. Pour l'instant. Pas de grandes manifestations violentes non plus. Sans doute sous la pression des pays voisins ou de la France notamment...

Conakry ne s'est pas enflammée. Pas de pillages massifs. L'opposition a intenté un recours devant la cour suprême.

La rédaction de Guinéenews publie à ce sujet un entretien très instructif d'Aboubacar Sylla. Le porte-parole de l’opposition guinéenne y confirme le rejet des résultats de la semaine dernière mais il confirme aussi avoir accepté de s'inscrire dans une logique de recours légal devant la cour suprême. Certes, on a l'impression qu'il n'y croit pas vraiment. Ce que les leaders de l'opposition guinéenne ont également répété ces derniers jours sur RFI ou BBC Afrique. Mais Aboubacar Sylla cherche visiblement l'apaisement. Nous avons "décidé de garder le contact avec la communauté internationale à travers notre participation au comité de suivi que nous avions boudé un certain temps pour marquer notre désapprobation." L'opposant estime qu'il est nécessaire de continuer à disposer d’un "cadre de dialogue et de concertation" sous l’œil de la communauté internationale.

En d'autres temps ce genre de déclaration aurait été inimaginable. Ce qui faisait dire récemment au chercheur Michel Galy dans l'Humanité "qu'il s'est passé quelque chose en Guinée (...). A une certaine époque l'opposition guinéenne négociait des sièges à l'assemblée nationale avant même la proclamation des résultats. "

On a l'impression cette fois que le processus se serait quelque peu normalisé. Le recours devant la cour suprême devrait prendre plusieurs semaines avant d'aboutir à des résultats définitifs et savoir si les hauts magistrats guinéens tiennent compte des rapports des observateurs internationaux... Savoir si, comme le dénonce l'opposition sur la foi de ces mêmes rapports, le tripatouillage du fichier électoral, le bourrage des urnes, les taux de participation record dans les fiefs du pouvoir, les retentions de cartes d’électeurs, les disparitions et falsifications de procès verbaux de dépouillement, ont été suffisamment pratiqués à l'échelle industrielle pour nécessiter des annulations même partielles.

En dépit de ces pratiques flagrantes, l'opposition a bien dû reconnaitre que les scores ne sont pas dignes d'une république bananière ou de l'époque soviétique, qu'il y a eu ballotage notamment dans la capitale Conakry. Ce qui "est inédit dans l’histoire politique récente de notre pays", reconnait Aboubacar Sylla. L'opposition aurait ainsi acquis ses lettres de noblesse à travers ce scrutin. C'est si laudateur que l'on se dit que le risque de coup d'état imminent ne l'est plus tant que ça...

Mais peut-être pas... Il reste encore l'inconnu Beny Steinmetz , du nom de ce diamantaire franco-israélien, détenteur de parcelles de l'une des plus grandes mines de fer de Guinée qui aurait dû sortir le pays de la misère depuis longtemps.

C'est de lui dont il était question dans les rapports des services secrets français et américains cités par le Canard Enchaîné le mois dernier, au cœur d'une grande enquête journalistique publiée par le New Yorker en juillet et qui a inspiré plusieurs dossiers récemment de Médiapart, Slate Afrique ou encore Le Monde. Et c'est à lire désormais dans la Revue du magazine Jeune Afrique. Le directeur de la rédaction de l'hebdomadaire s'est rendu à 500 kilomètres de la capitale guinéenne, sur les flancs du mont Simandou, aux confins de ce qui fut le royaume de Samory Touré.

C'est aussi là que se trouve l'un des trésors du continent africain : un gisement de fer gigantesque pas encore exploité malgré les convoitises...

"Un rêve fabuleux", raconte François Soudan, comme sont "fabuleuses les richesses en bauxite, or, uranium, diamants et pétrole off shore que recèle le sous sol de ce qui fut pendant des décennies une klepthocratie gabegiste souvent criminelle aux mains de militaires corrompus et autistes". Passionnant récit où l'on découvre que Bernard Kouchner a aidé le président actuel Alpha Condé à faire le ménage dans les anciens contrats miniers, en particulier celui de Beny Steinmetz, pourtant proche de Nicolas Sarkozy ou encore Patrick Balkany. Bernard Kouchner qui a recommandé les services de Tony Blair, de Georges Soros et de ces ONG qui traquent les montages opaques dans les paradis fiscaux.

Beny Steinmetz sur lequel une enquête a été ouverte en Suisse la semaine dernière. Traqué par le FBI, Beny Steinmetz n'aurait pourtant pas renoncé à son trésor de Simandou... Et c'est bien la principale incertitude, en réalité, quant à l'avenir de la Guinée.