Homophobie de l’islam vs homonationalisme islamophobe

Manifestation anti-gay
Manifestation anti-gay - Maxim Zmeyev
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Manifestation anti-gay - Maxim Zmeyev
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Chaque matin, l’actualité vue au travers de la presse étrangère. Aujourd’hui : en jouant sur l’amalgame entre terroristes et musulmans, les attentats d’Orlando creusent la fracture entre la communauté LGBT d'un côté et musulmane de l'autre.

Lorsqu’un fou de Dieu se revendiquant de l’islam et de Daech commet un attentat contre un club gay, les conséquences d’un tel geste peuvent être terribles. Les esprits simplistes n’y voient que deux groupes, les musulmans et les homosexuels, et sont ainsi tentés de les opposer.

Dans une tribune pour le portail d'information KAPITALIS, repéré par le Courrier International, un éditorialiste tunisien juge que l'horrible crime d'Orlando projette de nouveau une lumière crue, dit-il, sur l’islam : car c'est bien un musulman qui a été l’auteur de cette attaque armée. Or qu’il soit faux musulman ou qu’il ne représente en rien la majorité écrasante des musulmans n’ôte, en rien, aux musulmans (du moins les autorités légales) la responsabilité morale de ce crime. Et pourquoi ? Parce que si la cause du crime d’Orlando est claire (la haine nourrie par le criminel envers les gays), une telle haine est bien présente chez nous, officiellement consacrée par les lois de tous les pays arabes et musulmans. Certes, tous ne tuent pas, mais tous criminalisent l’homosexualité, au nom de l’islam.

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En ce sens, soyons honnêtes et osons le dire, écrit toujours l'éditorialiste : nos élites sont les complices objectives du criminel d’Orlando et de ses commanditaires. Elles le sont du fait qu’elles condamnent l’homosexualité et justifient la stigmatisation des gays en refusant leur droit à vivre leur sexualité parfaitement naturelle. Car s’il n’y avait pas de lois dans les pays musulmans jetant l’opprobre sur les gays, le criminel aurait peut-être hésité avant de passer à l’acte. Ce sont de telles lois qui justifient les comportements de plus en plus homophobes du commun des mortels, donnant conscience tranquille aux terroristes mentaux qui, dès-lors, sont encouragés à basculer dans l’acte physique.

Et l’éditorialiste tunisien d'ajouter encore : que le terrible drame d’Orlando soit l’occasion d’un réveil de conscience ! Qu’on ose abolir l’homophobie en Tunisie, sinon, nos politiques assumeront les futurs drames à venir. Car tant que l’homosexualité n’aura pas été dépénalisée en terre d’islam, il y aura toujours des fous pour “casser du pédé” au nom de l’islam. Qu’on se le dise : tout futur acte homophobe dans le monde sera imputé à nos politiciens homophobes qui seront d’avance complices des terroristes.

Cette analyse, portée par le portail d'information tunisien, nourrit ainsi l'idée que cet acte terroriste contre un club homosexuel serait une nouvelle attaque de plus contre notre style de vie libéral, ainsi que l'écrit le quotidien suisse NEUE OSNABRÜCKER ZEITUNG et même contre tout le monde occidental, renchérit son confrère régional de Karlsruhe BADISCHE NEUESTE NACHRICHTEN.

Reste que l'islam n'a pas, bien sûr, le monopole de l'homophobie. Dans le monde occidental, prétendument libéral, de grands pans de la population restent encore critiques face à l’égalité en droit des couples de même sexe, nuance aussitôt THE DAILY TELEGRAPH. Même si la télévision (inondée des valeurs libérales de ses producteurs) peut donner l’impression, en effet, que notre hémisphère entier a accepté la liberté sexuelle, rappelons tout d'abord que la légalisation de l’homosexualité, dans le monde occidental, remonte seulement aux années 1960 et il n’est question d’union des couples de même sexe que depuis une petite dizaine d'années. Or ce sujet suscite encore une grande aversion chez les conservateurs, lesquels ont raison sur un point, précise toujours le quotidien britannique : l’islam a un véritable problème avec l’homosexualité. Sauf qu'on pourrait en dire sans doute autant de beaucoup de ces mêmes conservateurs.

Le risque est grand, aujourd'hui, que la tuerie d'Orlando exacerbe le racisme anti-musulman et notamment la haine des gays contre les musulmans

Selon le magazine SLATE, à l'instar de toute la population, la haine d’une partie de la communauté LGBT contre les musulmans s’est amplifiée ces dernières années, à tel point qu’on a vu l’émergence d’un «homonationalisme». Forgé en 2007 par une universitaire américaine Jasbir Puar, l’ «homonationalisme» définit l’apparition chez les homosexuels d’un nationalisme justifié, selon eux, par la menace spécifique que constituerait l’Islam. Plus généralement, il décrit l’utilisation, par des associations LGBT, d’idéologies ouvertement racistes ou islamophobes, ou plus exactement, l’infiltration des mouvements LGBT du monde entier par des militants d’une droite nationaliste, voire d’extrême droite.

Un des tous premiers symboles du nationalisme gay en Europe a été l’ascension de Pim Fortuyn, nationaliste néerlandais, ouvertement homosexuel. Pim Fortuyn a été assassiné en 2002, mais ses idées lui ont survécu. Elles ont été reprises par Geert Wilders, fondateur aux Pays-Bas de l’islamophobe Parti pour la liberté, qui défend le mariage homosexuel, comme, d'ailleurs, le parti d'extrême droite autrichien FPÖ. Et puis en France, cette fois-ci, Marine Le Pen a elle aussi flairé un filon et une occasion rêvée de dédiaboliser son parti. Les années passant, le Front national est quasiment devenu « gay-friendly ». Aux yeux de ses partisans homos, la présidente du FN a non seulement refusé de participer à la Manif pour tous, mais elle s’est aussi entourée de cadres gays, comme Florian Philippot ou Sébastien Chenu. Une tactique qui va creuser l’ «homonationalisme» français. Dès 2012, une étude Ifop montre que 10% des personnes sondées se déclarant homosexuels se disent proches du FN. Et ce soutien n’a pas diminué, puisqu’aux régionales, plus de 32% des couples homosexuels mariés ont voté pour le Front national.

En jouant sur l’amalgame entre terroristes et musulmans, ces attentats creusent donc inévitablement cet «homonationalisme» et renforcent la fracture entre ces deux communautés, LGBT d'un côté et musulmane de l'autre. Une fracture précisément recherchée par Daech et même théorisée dans un article de dix pages intitulé «La zone grise», la zone grise étant cette zone entre deux où naviguent, selon Daech, nombre de musulmans en Occident, écartelés entre leur religion et les impératifs occidentaux, qui les somment de se renier.

Par Thomas CLUZEL