Par Thomas CLUZEL
Lui qui avait annoncé à ses compatriotes de nouvelles victoires dans sa «bataille pour la vie», lui qui s’était montré à maintes reprises triomphant a donc perdu la dernière bataille. Et même si depuis dix-huit mois, les rumeurs incessantes sur sa santé, alimentées notamment par sa disparition des regards médiatiques avaient, sans doute, permis aux Vénézuéliens de se préparer à l’évènement, il n’en demeure pas moins que le pays tout entier doit s'attendre à présent à de terribles maux de tête. Aussitôt après l'annonce de sa mort, raconte ce matin le journal de Caracas TAL CUAL, des centaines d'hommes et de femmes sont descendus dans les rues, avec des pancartes sur lesquelles on pouvait lire ceci : nous sommes tous des Chavez.
Car pendant 14 ans, précise son confrère madrilène d'EL PAIS, nombre d'entre eux s'étaient laissés convaincre que leur vie serait meilleure, grâce à la révolution bolivarienne et grâce au socialisme du XXIème siècle. Sous le choc, les partisans du Commandante en larme n'avaient qu'un seul mot d'ordre à la bouche hier soir : continuer la lutte. "C'était notre père. Le chavisme ne disparaîtra pas. Nous sommes son peuple". Voilà quelques uns des mots entendus dans le centre-ville de la capitale et rapportés ce matin par toute la presse. D'où cette question, comment continuer la lutte, dès lors que la révolution est orpheline, s'interroge notamment EL NACIONAL.
Il faut dire qu'en vingt ans de vie politique, Hugo Chavez a laissé le souvenir d'un caractère pour le moins très affirmé, que le NEW YORK TIMES retrace d'ailleurs ce matin en une rétrospective de dix moments mémorables, de son amitié pour Castro à ses célèbres saillies antiyankees, sans oublier, rappelle toujours le journal américain, son affirmation selon laquelle le capitalisme aurait tué la vie sur Mars.
Seulement voilà, réalité certainement crispante pour ses détracteurs, force est de constater que le père de la révolution bolivarienne, héraut charismatique de la gauche radicale dans toute l'Amérique latine, précise le site d'information en ligne SLATE, conservait le soutien de la majorité des classes populaires du pays et notamment grâce à sa politique de redistribution de la dette pétrolière. Grâce aux pétrodollars, renchérit le journal de Caracas TAL CUAL, Chavez a c'est vrai reconstruit le pays à travers des programmes sociaux, lesquels ont permis à la fois d’éradiquer l’analphabétisme, de subventionner la santé, la nourriture, tous les biens de consommation courant, mais aussi le logement et de favoriser l'accès à l'éducation. Ce qui n'empêchait pas, nuance aussitôt le quotidien, son bilan économique d'être fortement contrasté.
Les déséquilibres économiques sont même légion affirme pour sa part le magazine SLATE. Le Venezuela accuse un déficit budgétaire de l’ordre de 20% du PIB. Le taux d’inflation y est l'un des plus élevés au monde. Depuis 2003, la dette extérieure du pays a été multipliée par dix. Le gouvernement s’est même retrouvé à court de dollars, alors qu’il a bénéficié des prix élevés du pétrole durant plus d’une décennie. Car il n’y a rien à faire, précise l'article, l’argent manque au Venezuela. Des dépenses de consommation effrénées ont fait exploser le budget du pays, en même temps que la mauvaise gestion de l’économie. S'agissant du pétrole, par exemple, la Chine a réglé d’avance d’immenses quantités de brut et bénéficié d’importantes remises sur volume. Sauf que le gouvernement vénézuélien a lui déjà encaissé et dépensé tout cet argent. Autrement dit, il lui faut désormais honorer le contrat conclu avec Pékin, dont il ne recevra plus aucun paiement.
D'où cette tribune au vitriol, à lire toujours ce matin dans le journal de Caracas TAL CUAL : Généralement écrit l'éditorialiste, lorsque des marchandises sont vendues à perte, c'est à dire en dessous de leur prix de revient, cela signifie qu'on cherche à liquider l'entreprise. Or c'est très précisément ce qui se passe aujourd'hui au Venezuela. Lorsque le gouvernement, dit populaire, d'un pays pétrolier a priori très rentable, donne ou vend à pertes, ce qui revient au même, des biens de première nécessité à sa population, logiquement, ce fonctionnement peut se résumer à une simple maxime : "du pain pour aujourd'hui et la faim pour demain." Avec un investissement social aussi massif, basé exclusivement sur les revenus pétroliers, non seulement l'Etat favorise le chômage, mais il sape aussi l'avenir du pays. En clair, cette stratégie est ni plus ni moins qu'une arnaque écrit toujours le journal de Caracas, y compris d'ailleurs pour ceux qui bénéficient de politiques sociales, car elle conduit inévitablement à la liquidation du Venezuela à moyen terme. Et bien entendu, cette stratégie visant à détruire systématiquement toutes les sources de richesse et d'emploi, autres que celles générées par le gouvernement, n'a d'autre but, in fine, que de garantir la dépendance absolue et donc la soumission du peuple à son souverain. Voilà pourquoi, conclue le journal vénézuélien, le gouvernement de Chavez restera dans les mémoires, non seulement comme le gouvernement le plus démagogique et le plus gaspilleur de l'ère pétrolière, mais aussi comme celui ayant été historiquement le plus irresponsable.
Hier soir pourtant, tandis que la voix tonitruante du stentor de la révolution se brisait, la devise «le socialisme ou la mort» a cédé la place à des messages d’amour, commente de son côté le correspondant du TEMPS de Genève. Les scandales de corruption et d’ineptie, qui marquent avec l’explosion de l’insécurité, les principaux échecs de Chavez, n’ont donc manifestement pas encore entamé «l’amour» de ses partisans. Reste qu'il revient à présent à ses successeurs de remplir le vide et de prouver dans les urnes, que la révolution ne dépend plus d’un seul homme.
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