Chaque matin, l’actualité vue au travers de la presse étrangère. Aujourd’hui : ces petites histoires et autres allégories qui racontent la grande Histoire, en l’occurrence, la décision historique du Royaume-Uni de quitter l’UE.
Dans le tumulte entourant la victoire du "Leave" lors du référendum britannique, THE FINANCIAL TIMES nous livrait il y a quelques temps un premier détail qui, a posteriori, peut sembler incroyable sur la manière dont serait né ce référendum. Nous sommes alors en 2012. Et dans la perspective des élections générales de 2015, David Cameron juge que le seul moyen de conserver l’unité de son parti est de promettre un référendum sur l’Union européenne. Il faut dire que la pression qui pèse sur le Premier Ministre est quasiment impossible à contenir. Et le 21 mai 2012, l'affaire est conclue. Cameron est alors accompagné de son Ministre des Affaires étrangères ainsi que de son fidèle chef de cabinet. Jusque là, rien de très étonnant. Ce qui l'est davantage, en revanche, c'est le cadre de cette discussion. A cet instant, les trois hommes attendent un vol commercial qui doit les ramener en Angleterre, après la conférence de l’Otan qui, cette année là, s’est tenue à Chicago. Et c'est dans le fast-food de l'aéroport, autrement dit, à des milliers de kilomètres du 10 Downing Street, que les trois hommes conviennent ensemble de proposer un référendum avant la fin 2017. Oui, vous avez bien lu, écrit le magazine SLATE. Le référendum qui a conduit à la démission du David Cameron, à l’effondrement de la livre sterling, à la panique sur les marchés mondiaux et qui pourrait mener à une récession, ainsi qu’à la dissolution de l’Union européenne, voire du Royaume-Uni lui-même (union trois fois centenaire qui jadis fut à la tête du plus grand empire que l’humanité ait jamais connu), s’est décidé autour d’une part de pizza, dans le terminal d'un aéroport. THE FINANCIAL TIMES n'est pas le seul, d'ailleurs, à avoir décrit ce sommet de la pizza, THE DAILY MAIL y avait, lui aussi, fait allusion. Et c'est ainsi que grâce à David Cameron, nous pouvons donc désormais ajouter un lieu à la liste des rencontres internationales qui ont façonné le monde moderne : il y a eu Versailles, Yalta, Bretton Woods et la Pizzeria du terminal 3 de l’aéroport de Chicago.
Évidemment l'histoire, aujourd'hui, prête à sourire. Sauf que l'indigestion est totale. En témoigne notamment la fameuse pétition appelant à reconsidérer le référendum sur le "Brexit" et qui, depuis vendredi dernier, a déjà amassé plus de 3,5 millions de signatures. Or là encore, ironie de l'histoire, cette pétition avait été créée à l'origine, il y a un mois, par un partisan du "Brexit" qui, certain à l'époque que l’option "Remain" allait l'emporter, avait pris cette initiative pour empêcher les partisans pro-européens d'enchaîner le Royaume-Uni à l’UE. Seulement voilà, depuis et compte tenu du résultat, la pétition a été détournée par le camp européen.
Autre histoire qui témoigne, encore ce matin, de cette forme si particulière de l'humour britannique, la politesse du désespoir mêlant noirceur et absurde, la chronique hebdomadaire publiée hier dans les colonnes du journal conservateur THE DAILY TELEGRAPH par Boris Johnson. Après avoir milité pour le "Brexit", l'homme y déclare son amour à l’Europe. La Grande-Bretagne, dit-il, «fait partie de l’Europe, et en fera toujours partie». Et c'est vrai qu'on en rirait presque si le camp du "Leave" n'avait pas gagné. Toujours est-il que ces déclarations lui ont valu, bien entendu, les sarcasmes du camp opposé. A sa décharge, c'est vrai que Boris Johnson a de quoi perdre aujourd’hui la raison, lui que David Cameron vient de mettre échec et mat, ainsi que l'écrit THE GUARDIAN dans un article repéré par le magazine SLATE. Alors pourquoi échec et mat alors même qu'il a remporté la partie ? Réponse du quotidien britannique : si le camp du "Leave" a certes gagné le référendum, ils ne peuvent utiliser le mandat qui leur a été confié, car s’ils le font, ils condamneront à dessein le Royaume-Uni à la récession, à la rupture et à des années douloureuses. En clair, si Boris Johnson est candidat à la tête du parti conservateur, gagne et sort le Royaume-Uni de l’UE, alors il devra gérer une situation intenable et ce sera terminé pour lui. S'il gagne le poste de Premier ministre mais échoue, en revanche, à activer l'article 50, alors ce sera aussi fini pour lui. Enfin inutile de préciser les conséquences s'il n’est pas candidat au 10 Downing Street et déserte le champ de bataille. Dans tous les cas, la parti pour lui est finie.
Et puis, last but not least, ironie de l'histoire toujours et encore, la défaite hier de l'Angleterre face à l'Islande fait figure ce matin de cerise sur le pouding. L’Angleterre dehors. Le soir, où l'Angleterre est devenue ridicule. C'est le moment d'écrire vos blagues sur le "Brexit", écrit l'éditorialiste du quotidien de Londres THE INDEPENDENT. THE SUN, si euphorique vendredi dernier après la victoire du "Leave" a perdu, c'est peu de le dire, son sourire ce matin. L'Angleterre humiliée par une nation célèbre pour la pêche à la morue. Quant au GUARDIAN, il lui suffit de citer les propos du commentateur islandais, hier, à la fin du match : Vous pouvez rentrez chez vous, vous pouvez quitter l'Europe. Vous pouvez aller partout où bon vous semble.
Quant au journal suisse, LE TEMPS, son analyse est lapidaire : Le problème des Anglais est simple, dit-il. Les Anglais ont longtemps vécu de leur supériorité dans les domaines du physique et du mental. Longtemps, on a valorisé la culture du "fighting spirit". Les recruteurs privilégiaient les joueurs costauds, puissants et rapides au détriment des petits gabarits, le public applaudissait les tacles, les arbitres étaient très tolérants dans les duels. Depuis, les autres pays ont largement comblé leur retard sur l’aspect physique. Quant au fameux "mental" des Anglais, il n’est pas à toute épreuve. On voit bien lorsqu’un Anglais part jouer à l’étranger qu’il éprouve beaucoup de difficultés à s’acclimater. Sorti de sa zone de confort, il est vite déstabilisé dès lors que l’entraîneur lui demande autre chose, parce qu’on ne lui a rien appris d’autre. Et d’ailleurs, le réservoir de joueurs du niveau international est insuffisant. Six ou sept titulaires à peine ; les autres sont remplaçants, aucun ne joue à l’étranger, aucun ne s’est jamais frotté à un autre football, à une autre culture.
Par Thomas CLUZEL
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