

Angela Merkel et Martin Schulz ont appelé les Allemands à se rendre en masse aux urnes ce dimanche, redoutant que l'absence de suspense débouche sur une apathie électorale dont profiterait la formation d'extrême droite AfD.
Dans un environnement international déstabilisé à la fois par le Brexit, l'élection de Donald Trump, mais aussi les dérives à l'œuvre dans certains pays de l’Est (Pologne et Hongrie) prêts à sacrifier les «valeurs européennes» sur l’autel d’un nationalisme rampant, l’Allemagne rassure. Sans compter qu'avec un taux de chômage à 3,8% et un excédent budgétaire de 24 milliards d’euros sur le seul premier semestre, l’Allemagne d’Angela Merkel rassure, aussi, en tant que plus grande puissance économique du continent. Sans doute, les Allemands, eux, sont-ils d'avis qu'avec elle ce n'est pas très excitant, mais c'est du solide. La chancelière incarne en somme cette permanence du bien-être, analyse la correspondante du TEMPS. Et son slogan de campagne, «Pour une Allemagne où il fait bon vivre», épouse parfaitement cet imaginaire.
Et c'est ainsi qu'à deux jours des élections, tous les sondages d'opinion et tous les journaux donnent unanimement, ce matin, Angela Merkel et son parti en tête du scrutin dimanche prochain. A lire la presse, cette popularité de la chancelière, malgré l'exercice du pouvoir, n'a d’ailleurs rien d'énigmatique. Elle s'expliquerait, en particulier, par sa formidable capacité à subtiliser à ses adversaires les grands thèmes de leurs programmes. Il y a dans l'engagement de la chancelière une part de jeu politique. De même qu'après Fukushima Angela Merkel avait fait fermer les centrales nucléaires, laissant les Verts totalement démunis, cette année elle a habilement coupé l’herbe sous le pied des sociaux-démocrates, d'une part en promettant le plein emploi et d'autre part en légalisant le mariage homosexuel. Et puis Angela Merkel a, par ailleurs, introduit dans sa campagne 2017 une touche de patriotisme, fait inhabituel dans un pays qui renâcle toujours à afficher sa fierté nationale (en dehors du domaine sportif). Ce «nationalisme éclairé» se traduit par la présence des couleurs du drapeau national sur chacune des affiches électorales de la CDU (à la place de l’orange, couleur traditionnelle du parti) afin de damer le pion, cette fois-ci, aux populistes de l’AfD. Toujours est-il que cette formidable capacité d’Angela Merkel à forger des compromis, à s’adapter à des situations qui changent en permanence, a permis de créer un sentiment de satisfaction qui semble correspondre à l’état d’esprit d’une majorité d’Allemands.
Mais attention, prévient aussitôt la NEUE ZÜRCHER ZEITUNG, car de la satisfaction à l’autosatisfaction, il n’y a qu’un pas. Or les défis à relever aujourd'hui pour l'Allemagne sont légion. Forte de ses préceptes d’austérité dont elle est elle-même prisonnière, l’Allemagne n’investit pas et la dégradation de ses infrastructures pourrait se payer un jour au prix fort. La crise démographique est une autre bombe à retardement : Selon l’institut fédéral des statistiques, l’Allemagne ne comptera plus, en 2060, qu’entre 65 et 70 millions d’habitants au lieu de 80 millions à l’heure actuelle. Et du poids des retraites à celui de l’assurance maladie, en passant par la transformation du marché du travail, les défis structurels sont considérables. Enfin, la précarité salariale produit toujours plus de travailleurs pauvres. Temps partiel, minjobs payés 450 euros par mois, ou même jobs à un euro par heure, l’Allemagne a depuis longtemps fait le choix de la flexibilité pour répondre au défi du chômage. De sorte que pendant que le taux de chômage diminuait le taux de pauvreté, lui, augmentait. Aujourd'hui, près de 20% de la population a un revenu inférieur à 60% du revenu médian (autour de 18.000 euros par an).
Enfin, on pourrait encore citer un dernier défi à relever, celui du renouvellement politique. Car si certains croient qu'un nouveau mandat d'Angela Merkel est un gage de stabilité pour l'ensemble de l'UE, d'autres s'étonnent, au contraire, de cette absence de relève. Si, à tort ou à raison, l'Allemagne semble rassurante, il lui manque un souffle. Sans perspective d’alternance politique la démocratie allemande semble s’endormir. Avant-hier, à la DEUTSCHE WELLE, interrogée sur son quatrième mandat qui pourrait être vu comme un frein à la pluralité démocratique en Allemagne, la chancelière a nié qu'il s'agisse d'un problème. «Je ne crois pas qu’on puisse parler de ça. Il existe différents systèmes», a-t-elle précisé. Par exemple, «un scrutin par voix directe comme chez les Français et les Américains. Dans ce cas, le nombre de mandats est souvent limité. Par contre, en Allemagne, on vote pour des formations politiques. Et c’est pourquoi on ne peut pas limiter le nombre de mandats des partis».
Reste qu'un parti populiste de droite semble, lui, déjà tirer profit de cette torpeur politique. Son nom : l'AfD (Alternative pour l'Allemagne). Ces derniers jours, note ce matin le SPIEGEL ONLINE, la CDU et son allié bavarois CSU ont perdu entre deux et trois points de pourcentage dans les sondages. La courbe pointe vers le bas. Et ce non pas au profit des sociaux-démocrates mais parce que l'AfD gagne du terrain. Les populistes de droite sont aujourd'hui crédités de 12% des voix. Et ils ont, désormais, une bonne chance d'entrer au Bundestag. L’hebdomadaire berlinois DER FREITAG leur consacre, d'ailleurs, sa Une d'avant élection, sous ce titre : les nazis à l'intérieur ! Et de rappeler, notamment, qu'au fil des trois dernières années, l’extrême droite a déjà envoyé plus de 160 députés dans 13 parlements régionaux sur 16. En début d’année, pourtant, l’AfD, en proie à une querelle de ses chefs et déstabilisée par le recul de l’immigration, semblait avoir quasiment disparu du paysage politique. Il a depuis refait son retard, notamment, grâce à une campagne publicitaire (baptisée : «Osez, les Allemands!»), une campagne sexiste et raciste particulièrement virulente, tellement provocante qu'on se demanderait presque, à première vue, s'il ne s'agit pas d'une satire prenant pour cible le parti d'extrême droite. Sauf qu'il n'en est rien. En passe de devenir la troisième force politique du pays, le petit parti d'extrême droite ne fait pas dans la demi-mesure. Et malheureusement, conclue le quotidien DAILY SABAH, il se pourrait fort que l'AfD soit la véritable gagnante de ces élections.
Par Thomas CLUZEL
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