Par Marine de La Moissonnière Depuis plus d'une semaine, des dizaines de milliers d'agriculteurs coupent des routes en Colombie pour réclamer notamment des prix-planchers et la baisse du coût du carburant. Après les mineurs et les chauffeurs routiers, ils ont reçu hier soir le soutien de citadins, essentiellement des jeunes étudiants, raconte El Universal. Des "cacerolazos" - manière typique de manifester en Amérique latine en tapant sur des casseroles - ont eu lieu à Bogota et dans plusieurs villes du pays. Des Colombiens sont donc descendus dans la rue pour faire du bruit afin "faire savoir au président Santos qu'il y a bien une grève " dans le pays, a raconté l'un des participants à El Heraldo. Car pour le chef de l'Etat, "la grève nationale n'existe pas ". Des propos tenus dimanche et rapportés par le quotidien colombien. Alors l'idée est née sur les réseaux sociaux d'organiser une manifestation sonore mais pacifique, dans tout le pays, au même moment, explique El Espectador. Et celui qui ne peut pas descendre dans la rue, qu'il crie sa colère depuis sa fenêtre. Consigne des organisateurs relayée par le journal. A l'origine du mouvement, il y el Partido del tomate - le parti de la tomate - qui se définit sur twitter comme le parti des Indignés colombiens. Des Indignés qui ont voulu "alerter le gouvernement sur la nécessité de trouver une solution de toute urgence à cette grève ", précise le journal car "on est arrivé à un point où aucune des deux parties ne veut céder", prévient l'un des responsables du rassemblement. Il faut dire que cette grève qui n'a donc pas lieu, selon Juan Manuel Santos, a déjà fait 5 morts. Bilan dressé par El Espectador . Des centaines de policiers anti-émeutes ont été déployés partout dans le pays, raconte la BBC, et des affrontements ont éclaté au niveau des barrages routiers ou lors de manifestations. Particulièrement touchée, la province de Bocaya, dans le centre, où des écoles et des magasins ont été fermés, détaille la radio britannique. Des députés locaux ont même dénoncé le comportement des forces de l'ordre devant les Nations unies, rapporte El Espectador.Juan Manuel Santos a finalement dû reconnaître que cette grève existe bien et des négociations vont débuter aujourd'hui. Mais on se demande si elles vont vraiment servir à quelque chose. Certes Juan Manuel Santos semble prêt à faire des concessions. Comme l'écrit El Espectador , il est revenu sur ses propos, reconnaissant avoir dit des "âneries ". Ensuite, il a admis que le gouvernement n'avait pas tenu ses promesses envers les agriculteurs et que leurs revendications étaient justes. Il a même dit hier, souligne El Universal , qu'ils avaient eu raison de manifester. Difficile de ne pas faire le lien entre ce changement d'attitude et la présidentielle à venir, en mai 2014 alors que comme le fait remarquer El Espectador, la campagne se prépare."Le dialogue commence entre le gouvernement et les paysans ", résume donc ce matin El Universal. Mais en réalité, ces négociations ne débutent que dans trois provinces du pays alors que certaines organisations paysannes réclament une discussion au niveau national. Et puis si certaines revendications peuvent être satisfaites assez facilement, reste la question du Traité de libre échange avec les Etats-Unis au coeur de la contestation. Les paysans disent subir la concurrence des produits importés. Mais on voit mal comment Juan Manuel Santos pourrait revenir sur cette accord.D'ailleurs si les négociations débutent aujourd'hui, les protestations elles ne faiblissent pas. Les salariés du secteur pétrolier vont même se joindre au mouvement à partir de ce matin. Information révélée par El Colombiano. Grève de 24 heures alors que cela faisait plus d'un an qu'il n'y avait pas eu d'arrêt de travail dans ce secteur, souligne le journal. Cette mobilisation du monde agricole est nouvelle en Colombie. Mais elle était prévisible. A lire dans les colonnes de El Espectador, le point de vue du maire de Bogota, Gustavo Petro, qui dit que ce mouvement de ras-le-bol est logique, qu'il avait lui-même mis en garde l'ancien président Uribe au moment du vote du Traité. "Je lui avais dit de ne pas le signer parce qu'il allait détruire les champs de nos agriculteurs ", écrit-il. Selon lui, si la colère des paysans s'exprime aujourd'hui, c'est à cause "de l'affaiblissement des mouvements paramilitaires et du démantèlement de l'insurrection armée ". "Les mouvements civils et citoyens ont été écrasés par les fusils, l'insurrection armée et ensuite les mouvements paramilitaires. " Le ministre délégué au Conseil social, Luis Eduardo Garzon, le reconnaît lui-même. les choses sont en train de changer en Colombie. Il faut arrêter de dire que le mouvement est infiltré. Réthorique classique en Colombie où chaque mouvement de protestation serait en fait manipulé par la guérilla. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, estime Garzon. Comme le résume El Espectador, "alors qu'on est en plein milieu des négociations avec les Farc on assiste à un processus nouveau dans lequel il y a beaucoup de composantes politiques différentes. " Et de détailler : "Il y a ceux qui veulent tirer profit dans les urnes de ces mobilisations ; d'autres qui s'opposent à tout prix au président Santos ; et enfin ceux qui veulent instrumentaliser politiquement les négociations avec les Farc. " On aurait envie d'ajouter qu'il y a aussi le peuple colombien qui s'est mobilisé hier : "Politiciens, ouvrez vos parapluies ; il va pleuvoir des tomates ", prévient le parti des tomates, les Indignés de Colombie.
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