La revue de presse internationale de Thomas Cluzel

France Culture
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Par Thomas CLUZEL

«Mains ont l’air, ce sont nos armes». Voilà ce que criaient hier soir des milliers de manifestants réunis devant le Congrès des députés à Madrid, face à des policiers en armure anti émeute. Très vite, le face à face va dégénérer. Les forces de l'ordre, qui jusque là brandissaient simplement leur matraque, en guise d'avertissement vont charger la foule. 60 blessés au total et une vingtaine d'interpellations.

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Les vidéos de ces affrontements sont évidemment visibles partout ce matin. Des vidéos sinon effrayantes du moins très impressionnantes. Mais après tout, faut-il seulement s'en étonner, car la maison brûle titre notamment le site d'information en ligne MY EUROP. Rendez vous compte, l’Espagne doit aujourd'hui encaisser un niveau de pauvreté parmi les plus élevés de l’Union Européenne, équivalent à celui de la Roumanie et de la Lettonie, un "risque" de pauvreté qui concerne près de 12 millions de personnes, soit un quart de la population du pays. Les ravages sociaux et économiques engendrés par la purge administrée par le gouvernement sont tels que même le FMI s'inquiète désormais de cette spirale infernale et propose de réduire le rythme de l'ajustement budgétaire. Mieux vaut une convalescence plus longue, qu'un malade risquant de trépasser pour surdosage de médicaments.

Le problème poursuit l'article, c'est que le patient lui même, en l'occurrence le chef du gouvernement espagnol se refuse toujours pour l'instant à demander de l'aide extérieure. La banque centrale européenne a beau se dire prête à un nouveau programme d'achat d'obligations, Rajoy, lui, fait la sourde oreille. Il coupe à la hache depuis des mois dans tous les budgets publics, réduisant ainsi à néant tout espoir de retour à la croissance.

Or voilà qu'une nouvelle crise menace à nouveau l'Espagne, puisqu'hier, le président de la Catalogne a convoqué des élections régionales anticipées, annonçant je cite que "l'heure est venue d'exercer son droit à l'autodétermination". La Catalogne secoue le leadership espagnol, c'est d'ailleurs le titre ce matin en une du FINANCIAL TIMES. Le quotidien britannique qui précise que la région est aujourd'hui la plus endettée du pays. Or selon le gouvernement catalan, les problèmes financiers proviendraient en grande partie du système de répartition des recettes fiscales entre les régions. Voilà pourquoi les nationalistes réclament à présent une plus grande autonomie qui leur permettrait notamment de lever l'impôt.

Une démarche contre laquelle s'élève notamment le quotidien de centre gauche EL PAIS. Si la Catalogne faisait scission de façon unilatérale dit il, automatiquement, elle ne ferait par conséquence plus partie de l'Europe unifiée. Débuteraient alors des négociations longues et difficiles pour demander l'adhésion de la Catalogne, adhésion que certains Etats unitaires et centralisés tels que l'Espagne pourraient bien boycotter par leur véto. Et en fin de compte, cette démarche mènerait au déclin insidieux, aussi bien de l'Etat catalan que de l'Etat espagnol. Et l'indépendance plongerait toute la péninsule dans la pauvreté.

En réalité poursuit le journal, cette nouvelle étape dans la crise entre le gouvernement de Madrid et les autorités catalanes pose essentiellement la question du modèle d’organisation territorial du royaume. Or à un moment de crise profonde, comme celle que traverse actuellement l'Espagne, cela représente un vrai défi écrit encore le quotidien pour qui un pacte d'Etat est nécessaire pour faire face aux trois crises dont nous souffrons : économique, institutionnelle, sans oublier la crise de la construction européenne. Réclamer la souveraineté fiscale, alors que l’Europe demande de la partager est donc un contresens estime l'éditorialiste avant d'ajouter : la singularité de la Catalogne ne peut se structurer qu’à travers un Etat fédéral, car la séparation d’avec l’Espagne mènerait la Catalogne vers un déclin durable. Et de conclure, le malaise aujourd'hui est global, un malaise dont le parti nationaliste à la tête du gouvernement régional profite en réalité aujourd'hui pour détourner l'attention de ses coupes sociales et de ses responsabilités dans l'endettement catalan.

Même analyse pour son confrère conservateur ABC, lequel estime que le nationalisme catalan est aujourd'hui soulagé d’avoir identifié l’Etat central comme étant le coupable et l’indépendance comme étant une solution fictive. Et pourtant une immersion complète de la société catalane dans le diktat du nationalisme et un degré d’autogouvernement qui va au delà du fédéralisme le plus poussé ne sont pas des arguments suffisants pour démonter le mensonge nationaliste permanent, qui voit en l’Espagne la responsable de tous les maux. Autrefois, la Catalogne ne jurait que par le nouveau statut d'autonomie. A présent, la tromperie s’appelle pacte fiscal.

Alors, la question bien entendu n'en reste pas moins épineuse, car comme le rappelle son confrère catalan EL PERIODICO, la place de la Catalogne dans la structure politique et institutionnelle espagnole est une affaire non résolue historiquement. Et elle ne le sera pas écrit le journal, tant qu’on n’aura pas compris qu’elle veut se sentir respectée, de la même façon qu’elle aspire à participer vraiment au pilotage du pays. Sans privilèges certes, mais aussi sans injustices. Or dans le cas contraire le défi posé par l’ébullition de l’indépendantisme sera plus douloureux et à la fin beaucoup plus incertain.

Finalement, avec cette nouvelle crise du fédéralisme conclue EL PAIS, l'Espagne reproduit à son échelle la crise de l'euro. Même si la Catalogne n'est pas l'Allemagne, néanmoins et à de nombreux égards l'analogie fonctionne. Une fois de plus, le Nord souhaite restreindre la solidarité en temps de crise.

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