La revue de presse internationale de Thomas Cluzel

France Culture
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Par Thomas CLUZEL

Hier, je vous expliquais comment LA REPUBBLICA de Rome avait fait de Jérôme Cahuzac le William Shakespeare de l'évasion fiscale, ou dit autrement, le nouveau dramaturge de l'entourloupe. Et aujourd'hui, c'est au tour du FINANCIAL TIMES de Londres, cité par Presseurop, de faire cette fois-ci de François Hollande, le Louis XVI des temps modernes, victime de l'exaspération des Français vis-à-vis des élites. Une comparaison, vous en conviendrez, nettement plus pessimiste si l'on tient compte bien sûr des dernières heures de la vie du dit monarque. Quoi qu'il en soit, François Hollande, tout comme Louis, pourrait donc selon le quotidien britannique s'avérer être un homme non exceptionnel, comprenez normal, en des temps en revanche, eux, exceptionnels. Ainsi, à l'instar de la France de l'Ancien régime, laquelle s'est effondrée lorsque les privilèges de l'aristocratie n'ont plus été perçus comme la contrepartie de services rendus à la société, le président français est aujourd'hui à la tête d'une aristocratie politique, qui comprend à la fois la gauche et la droite et qui a perdu tout contact avec le reste du pays.

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Une situation symptomatique de toute la politique française, qu'elle soit de droite ou de gauche, estime de son côté le HANDELSBLATT. Comment s'étonner de ce niveau de corruption rampant, dit-il, lorsqu'une classe qui se connaît depuis les grandes écoles tient ainsi les rênes, se serre les coudes et se protège.

Même analyse pour le correspondant de LA TRIBUNE DE GENEVE, pour qui nos politiques sont aujourd'hui convaincus d’appartenir à une espèce supérieure que le vulgaire ne saurait atteindre. C'est parce qu'ils sont éblouis par eux- mêmes, qu'ils ont abandonné toute prudence et surtout toute décence. Du moins jusqu'à aujourd'hui, c'est à dire jusqu'à ce que le sentiment d’impunité, qui faisait l’apparence de leur force, ne se soit mué en faiblesse.

C'est en tous les cas, le sens de la déclaration hier à la presse de François Hollande, le chef de l'Etat, qui tout à son ménage de printemps, entend désormais se faire l’apôtre de la vertu, commente ce matin l'hebdomadaire DERSPIEGEL. Car le recul de la vertu, voilà bien en effet le fléau de notre temps, renchérit THE OBSERVER, cité par le Courrier international. Il fut un temps où l’on jugeait impératif de mener une existence vertueuse. Il était question d’intégrité, d’engagement envers un but dépassant l’enrichissement personnel, d’un certain altruisme, pour ne pas dire d’humilité. Ceux qui se trouvaient au sommet y étaient peut-être parvenus en se montrant implacables et ambitieux, mais ils savaient que pour gouverner il fallait donner l’exemple et que cela nécessitait d’autres qualités que de simplement penser à soi. Or aujourd'hui, il est devenu presque légitime de faire preuve de cupidité : une seule chose compte, accumuler des richesses et peu importe comment, y compris à coups de primes scandaleuses ou d’évasion fiscale.

Mais, à en croire François Hollande, tout cela c'était donc le temps d'avant, puisqu'hier le président français a annoncé les grandes lignes d'un vaste projet de moralisation de la vie politique. François Hollande a notamment affirmé qu'il voulait "éradiquer" les paradis fiscaux "en Europe et dans le monde". Lles paradis fiscaux seront-ils définitivement enterrés dans le sable des îles Caïmans ? La plupart des commentateurs en doutent. Nous faisons le pari qu’ils continueront à prospérer sous d’autres formes et en d’autres lieux, estime notamment l'éditorialiste du TEMPS de Genève, car la fraude fiscale, dit-il, ô pardon, l’optimisation fiscale n’est qu’un effet et non la cause. Au moment où politiques, hauts fonctionnaires et magistrats élaborent des lois, des règlements et autres accords internationaux destinés à vaincre la fraude fiscale, gageons que des ingénieurs de la finance sont en train de concevoir les structures dans lesquelles les paradis fiscaux de demain pourront accueillir ces fruits juteux réservés par l’énergie cupide à ceux qui savent l’utiliser.

La vérité, estime pour sa part LA LIBRE BELGIQUE, c’est qu’aucune réglementation n’empêchera jamais le mensonge ou la dissimulation. Et pourquoi, pour la simple et bonne raison qu'il ne s'agit pas là d'une exception française, rappelle à nouveau THE OBSERVER. En Espagne, le Premier ministre Mariano Rajoy a été accusé d’avoir dissimulé 250 000 euros au fisc. Et Cristina, la fille du roi Juan Carlos en personne, va elle aussi devoir rendre des comptes devant la justice au sujet des affaires douteuses de son mari. En Italie, les riches n’ont aucun scrupule à dissimuler leurs richesses et l’évasion fiscale motivée par l’égoïsme est considérée comme une attitude légitime, voire une obligation morale. Enfin au Royaume-Uni, la classe politique elle non plus, n’échappe pas à cette tendance. Le scandale des notes de frais des députés en 2009 n’a peut-être pas atteint les niveaux d’hypocrisie et de corruption de l’affaire Cahuzac, mais les racines du problème sont les mêmes. Voilà pourquoi le paradis fiscal risque bien d'être éternel.

Et pourtant, en France aujourd'hui, comme dans le reste de l'Europe, les privilèges des élites sont désormais considérés comme injustes. Et le FINANCIALTIMES de conclure par cet avertissement, adressé directement au chef de l'Etat français : Louis XVI était un honnête homme qui a essayé de faire de son mieux pour son pays, mais qui n'a pas réussi à comprendre l'ampleur du mécontentement populaire, qui n'a pas su maîtriser son entourage et a fini par devenir un personnage tragique, victime de forces qu'il n'était pas prêt à affronter. François Hollande devrait se méfier d'un tel destin.