La trêve politique imposée par les attentats n'aura duré que trois jours

Policiers recevant des oeufs sur la tête
Policiers recevant des oeufs sur la tête - Eric Vidal
Policiers recevant des oeufs sur la tête - Eric Vidal
Policiers recevant des oeufs sur la tête - Eric Vidal
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Chaque matin, l’actualité vue au travers de la presse étrangère. Aujourd’hui : les ministres belges de l'Intérieur et de la Justice ont offert, hier, leur démission. Le gouvernement belge, accusé de laxisme, a promis de faire "toute la lumière" sur les attentats.

La poussière est à peine retombée au-dessus de l’aéroport de Bruxelles et du quartier des institutions européennes, que le temps du deuil cède déjà sa place au remue-ménage politique, peut-on lire ce matin sur le site de l'hebdomadaire belge LE VIF. Hier, deux ministres et non des moindres, ont présenté leur démission. Le ministre de l’Intérieur, le premier, a présenté sa requête au premier ministre qui a aussitôt refusé ce départ. Peu après, son homologue de la justice a, lui aussi, exprimé sa volonté de renoncer à son poste, sans plus de succès d'ailleurs, indique LE SOIR, sur la base d’une annonce de la chaîne néerlandophone VTM.

Toujours est-il que les autorités sécuritaires et judiciaires belges se trouvent, en effet, sous une pression accrue . Les premiers éléments de l’enquête tendent à montrer des manquements graves à plusieurs niveaux de l’appareil d’État. Et c'est ainsi, notamment, que les députés de l’opposition entendent, dès aujourd'hui, mettre une pression maximale sur le gouvernement. Ou quand le temps du deuil et de la compassion a vécu.

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En réalité, trois questions se posent aujourd'hui, résume LA LIBRE BELGIQUE. De quelles informations disposait le gouvernement ? Quand les a-t-il reçues ? Et qu’en a-t-il fait ? L’opération risque désormais tourner au grand déballage. Beaucoup considèrent comme acquis que des dysfonctionnements majeurs seront identifiés. Mais ceux-ci concerneront-ils des problèmes nationaux, comme les sous-effectifs policiers ou l’archaïsme du système judiciaire ? Ou bien mèneront-ils à des erreurs commises à l'échelle européenne ?

La Belgique mérite-t-elle d'être à ce point traînée dans la boue ?

A l'évidence, la Belgique a failli. Notamment, en laissant se développer des réseaux salafistes dans certains quartiers. En donnant également à l'Arabie saoudite les clés de l’islam belge. Et en négligeant d’investir dans les services de renseignements. Pour toutes ces raisons, la Belgique peut être blâmée, reconnait encore LA LIBRE BELGIQUE. Mais, mérite-t-elle, pour autant, d’être à ce point traînée dans la boue, considérée comme la poubelle djihadiste du monde entier et réduite au rang d’État ouvert à tout vent ? Réponse de l'éditorialiste : Non. Pourquoi ? Tout d'abord parce que les contempteurs de la Belgique oublient aussi que des cellules de terroristes ont été démantelées en Belgique. Que Salah Abdeslam a été arrêté vivant. Et que de très nombreux procès de terroristes ont déjà eu lieu dans notre pays. Sans compter que le problème, c'est que toutes ces critiques émanent souvent de personnes qui ne connaissent rien à la Belgique. Qui croient qu’il suffit de ou qu’il n’y a qu’à. Et d’ailleurs, peut-on dire qu’un autre État a déjà trouvé la recette pour se défaire du fléau terroriste ?

Face, notamment, à l'arrogance déplacée, écrit LE VIF, des services de sécurité américains qui nous traite comme des enfants incapables de gérer efficacement la menace terroriste actuelle, il convient de rappeler que la situation actuelle est due en grande partie à la politique calamiteuse menée, justement, par les services américains, qui se servent de mensonges et de méthodes totalement inacceptables, écrit le journal. Et le quotidien de dresser la liste de ce que les États-Unis ont fait ces vingt-cinq dernières années et qui devrait, dit-il, les inciter à l'humilité et même aux aveux. Le Patriot Act, en particulier, a permis à l'état américain d'acquérir et de traiter plus d'informations et d'agir contre le terrorisme. Sauf que ses véritables méthodes ont été révélées par quelques membres de ses services : enlèvements, détention illégale, torture et interceptions impitoyables, et pas seulement de personnes considérées comme terroristes. Messieurs Bush et Blair nous ont également incités régulièrement à rejoindre leur coalition. On a même utilisé les mensonges les plus grossiers pour nous inciter à intervenir en Irak. Or aujourd'hui, ceux qui fuient les dommages collatéraux causés par les services américains témoignent, quotidiennement, des conséquences de cette guerre pour le pétrole. Nous avons même été jusqu'à créé sur le modèle américain, un système qui sans aucune procédure judiciaire et sous un contrôle tenu secret, enfreint quotidiennement les droits constitutionnels. Or l'approche américaine qui nous a été imposée par la guerre contre le terrorisme a eu peu de succès.

En d'autres termes, si nous sommes restés des enfants, écrit l'éditorialiste belge, alors nous le sommes toujours en tant qu'héritiers d'une civilisation, dont la plus-value se situe dans les jalons que nous avons posés depuis grâce à la reconnaissance des droits de l'homme, pour éviter que nos services dérivent comme l'ont fait nos homologues américains. Et que nous choisissions de renforcer désormais notre coopération avec le pays de la Liberté, de l'Égalité et de la Fraternité et plus largement avec l'Europe, ne peut que nous honorer et faire en sorte que nos services ne soient pas motivés par les mêmes abus.

A l'évidence, l’échange d’informations entre les États européens ne fonctionne pas.

L’Union européenne s’est dotée de structures de coopération aussi bien dans la police que le secteur judiciaire, rappelle le magasine SLATE. Mais leur montée en puissance est trop lente. Les attentats de Bruxelles ont démontré que les terroristes de Daech défient l’Europe tout entière et que la réplique policière et judiciaire ne peut donc être qu’européenne. Seulement voilà, ce qui s’énonce comme une évidence l’est beaucoup moins lorsqu’on considère que toute politique antiterroriste concertée implique des abandons de souveraineté pour monter des stratégies transnationales. La coopération a besoin de s’installer dans la durée à travers des structures dans lesquelles les pays membres jouent la transparence. Mais dès qu’une avancée implique des abandons de souveraineté, l'Europe se pétrifie.

Ou dit autrement, «le savoir, c’est le pouvoir», relève relève dans les colonnes du TEMPS un expert belge en matière de renseignements, pour expliquer la réticence des États à l’échange d’informations. Car dans les faits, tout un arsenal de mesures existe d'ores et déjà. En théorie, les pays membres alimentent un fichier informatisé accessible aux services d’investigation, chaque pays profitant donc des informations de tous les autres. Encore faut-il les exploiter, ce qui n’a pas forcément été le cas immédiatement après les attentats de Paris. Sans compter que certains États n’alimentent tout simplement pas ce système, trois pays en particulier, le Royaume Uni, l’Irlande et le Danemark. Les pays de l’UE disposant de services de sécurité efficaces ne sont pas prêts à mettre leurs données sensibles et précieuses dans le pot commun des 28, constate encore la SÜDDEUTSCHE ZEITUNG. Et tant que la donne ne changera pas, un centre antiterroriste commun aux 28 États de l’Union Européenne restera une illusion.

Et le site du VIF d'en conclure, si outre la collaboration européenne, on considère tous les autres débats qui risquent encore d'être réveillés par les attentats de Bruxelles, de l'échec de l'intégration, aux peines incompressibles, en passant par le contrôle aux frontières, on se dit que la période de deuil ne sera pas, en effet, de très longue durée.

Par Thomas CLUZEL