Chaque matin, l’actualité vue au travers de la presse étrangère. Aujourd’hui : Les socialistes de la plus importante fédération du pays (l’Andalousie) ouvrent la voie à un gouvernement de droite, dirigé par le Premier ministre sortant Mariano Rajoy.
Cette semaine l'Espagne, qui traverse une crise politique sans précédent, s'apprête à fêter un bien triste anniversaire. Jeudi cela fera, en effet, 10 mois jour pour jour que le pays fonctionne sans véritable gouvernement à sa tête. Pourquoi ? Parce qu'en dépit des deux élections organisées en décembre 2015 et juin 2016, les conservateurs n'ayant pas obtenu de majorité suffisante se sont montrés incapables de former un gouvernement dit de coalition. En réalité, la faute n'en revient pas exclusivement à la droite puisque, dans un pays normalement constitué, en l’absence de majorité absolue au Parlement, il n’est pas inhabituel que le parti arrivé en deuxième position (en l'occurrence le Parti Socialiste) permette au premier de former un gouvernement. Et ce d'autant plus facilement que, moyennant un pacte, le deuxième parti s'assure ainsi généralement (au sein d'une grande coalition) une influence non négligeable sur l’action de l’exécutif.
Ces derniers temps, d'ailleurs, plusieurs pays européens ont connu une telle situation. Mais force est de constater qu’en Espagne, peut-on lire sur le site d'information en ligne CONTEXTO, nous ne sommes pas dans une configuration politique comparable. Voilà près de 10 mois que le Parti socialiste est traversé par le même dilemme : soit refuser de voter la confiance au leader de la droite (et contraindre ainsi le pays à multiplier indéfiniment les élections), soit s’abstenir de voter et permettre à Mariano Rajoy d'occuper à nouveau le poste de chef de l’État.
Cette ligne de faille, qui divise les socialistes espagnols, est en réalité à l’image du désaccord que l’on observe au niveau européen, quant à l’orientation générale de la gauche. Aujourd'hui, écrit EL PAIS, on distingue deux conceptions opposées du rôle des sociaux-démocrates dans le monde occidental. Il y a d’un côté le soutien au centre et aux partis traditionnels de centre-droit, voire la volonté de prendre leur place, ce qui implique de conclure un pacte au service de la stabilité et des réformes. Le Premier ministre italien Matteo Renzi, par exemple, incarne cette voie. En France, on pourrait également citer le cas d'Emmanuel Macron. Et puis de l’autre côté, on trouve la proposition opposée : tout pacte conclu avec les élites est une trahison, raison pour laquelle c’est le devoir de la social-démocratie de s’éloigner du bloc de centre-droit, au lieu de s’en rapprocher. En Grande Bretagne, Jeremy Corbyn en est un parfait exemple.
En Espagne, jusqu'à présent, les socialistes sous la férule de leur secrétaire générale étaient sur cette même ligne. En clair, pas question de pactiser avec la droite. Sauf que Pedro Sánchez a démissionné il y a 15 jours. Or celle qui est pressentie pour le remplacer, Susana Diaz, la présidente de la fédération socialiste de l'Andalousie (la plus importante du pays) s'est prononcée hier pour un changement radical d'orientation : si le chef du gouvernement sortant de droite sollicite la confiance des députés, elle propose de s'abstenir, ce qui dans les faits permettra à la droite de revenir au pouvoir en formant un gouvernement minoritaire, soutenu à la fois par les conservateurs du Parti populaire et les libéraux de Ciudadanos.
Dès-lors, pourquoi ce virage à 180° ? Personne à gauche, évidemment, ne souhaite dans le fond la reconduction du leader de la droite pour un second mandat. Sauf que l’alternative viserait à appeler à la tenue de nouvelles élections (les troisièmes en un an) et les socialistes, a priori, n’y sont pas favorables. Non pas, d’ailleurs, pour sortir de l’impasse institutionnelle, comme le laisse entendre le discours officiel. Mais plus probablement, parce qu’un sondage publié dimanche par le quotidien madrilène EL PAIS montre qu’en cas de nouvelles élections, le Parti socialiste serait le grand perdant avec 18% seulement des intentions de vote (soit près de 5 points de moins que lors des derniers scrutins). D'où le risque que son concurrent direct, Podemos, prenne davantage encore de place dans le camp de l’opposition. Lancé dans l’arène début 2014, ce mouvement de la gauche dite radicale a connu, en effet, une ascension spectaculaire et constitue déjà la troisième force à la Chambre basse du parlement.
En d'autres termes, le changement d'orientation des socialistes tiendrait davantage du calcul politicien que du désir de surmonter la crise de gouvernabilité. Mais à quel prix ?, interroge à nouveau le site d'information CONTEXTO repéré par le Courrier International. La santé démocratique du pays ne devrait-elle pas passer avant la tenue de deux, voire, trois élections ? Car ce que les analystes n’ont pas l’air de comprendre, c'est que le parti politique auquel on va permettre de gouverner est gangrené aujourd'hui par la corruption. Au point où on en est, inutile d’entrer dans les détails : les scandales impliquant le Parti Populaire ne cessent de se multiplier, sans que pour autant ce parti ne collabore avec la justice, ni ne demande d’excuses aux citoyens ou même assume simplement ses responsabilités politiques pour les faits découverts. Dans ces conditions, laisser Mariano Rajoy (le principal responsable des agissements de son parti) continuer de gouverner, c’est purement et simplement blanchir le Parti Populaire dans ce domaine.
Bien sûr, on dira qu’il revient aux électeurs de sanctionner un parti lorsqu’il est corrompu. Et le fait est qu’ils ont choisi, à deux reprises, de placer la droite en tête du scrutin. Sauf que les députés des autres partis, eux, n’ont pas été mandatés par les citoyens pour que la droite forme un gouvernement. Et d'ailleurs, beaucoup de citoyens qui défendent le “non, c’est non” (à Mariano Rajoy) l’entendent de cette oreille, quand bien même certains commentateurs verraient en eux des victimes de la démagogie. Une simple analyse coûts-bénéfices suffit à souligner les conséquences futures qu’aurait pour le système démocratique le fait qu’un parti impliqué dans toutes sortes de malversations reste au pouvoir. Voilà pourquoi, écrit l'éditorialiste, empêcher que l’impunité domine la démocratie espagnole me paraît plus important que la gouvernabilité à court terme.
Et d'ailleurs, conclue une politologue interrogée dans les colonnes de LA REPUBBLICA, l'Espagne qui dispose actuellement d'un gouvernement intérimaire ne s’en tire pas si mal que cela. Preuve, peut-être, que parallèlement aux débats sur la nécessité de gouvernements forts pourrait s’imposer, au contraire, l’idée d’un appareil basé sur des normes universelles, en mesure d’assurer la cohésion de la société, avec des lois moins arbitraires que celles que nous impose la politique dominée le plus souvent par la volonté électorale et les tractations entre les partis.
Par Thomas CLUZEL
L'équipe
- Production
- Journaliste