Le long au revoir de Mandela. La revue de presse internationale de Thomas Cluzel

France Culture
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Par Thomas CLUZEL

Ses compagnons de lutte l’attendent autour d’une table, dressée sur un nuage. Ils s’apprêtent à jouer aux cartes. Et sur le revers de la nappe, on peut lire ceci : Bienvenue Madiba. Dans ce dessin paru dans le Journal de Ouagadougou, les compagnons de lutte de Nelson Mandela, tous d’anciens activistes de l’ANC se montrent impatients. Alors il vient ou il vient pas, interroge notamment l’un d’entre eux.

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Hier et pour la première fois, la famille de Mandela a publiquement évoqué la perspective de sa mort "d'un moment à l'autre". Mardi dernier, déjà, THE STAR confirmait que le président préparait l’Afrique du Sud à l’annonce de sa disparition. Et depuis, le pays tout entier vit donc suspendu aux derniers moments de son héros. Or ce que THE MAIL AND GUARDIAN résume encore ce matin comme le long au revoir de Mandela, teste surtout nos limites dans la course perpétuelle à toujours plus d'information, estime son confrère du TIMES.

C'est ainsi, par exemple, que dimanche dernier, le site d’actualité sénégalais DAKARACTU a justement voulu faire l’intéressant, se moque le MADAGSCAR TRIBUNE, en révélant la mort de l’ancien président sud-africain. Et en avril dernier déjà, rappelle LE TEMPS de Genève, la chaîne de télévision privée sud-africaine DSTV avait diffusé trop tôt la nécrologie de Mandela, pour se confondre aussitôt en excuses.

Il faut dire que la situation est inédite, analyse pour sa part THE DAILY MAVERICK, puisque jamais auparavant, dit-il, la disparition d’une figure du monde tant aimée n’a été aussi attendue. Les yeux du monde en entier sont en effet aujourd’hui tournés vers l'Afrique du Sud. Seulement voilà, à force de tourner autour du pot sur la condition de mortel de Mandela, on encourage aussi les faiseurs de mythes idiots, sans oublier les "spécialistes" autoproclamés de l'Afrique du Sud qui n'y vivent même pas. Et le pire, regrette le site GROUND UP cité par le courrier international, c'est que certains d'entre eux se couvrent de ridicule, en faisant croire à un démantèlement du pays à la mort de l'ancien Président.

Depuis des décennies, tout le monde a peur de ce qui pourrait advenir après la mort de Mandela. Sans sa force stabilisatrice, le pays va-t-il s'effondrer, interroge notamment THE FOREIGN POLICY ?

A tous ceux qui craignent que la mort de Mandela ne plonge l’Afrique du Sud dans des émeutes raciales, rassurez-vous, écrit à son tour THE MAIL AND GUARDIAN de Johannesburg, la disparition de cette immense figure n’effacera pas son héritage. Car ce que lègue un vrai leader, le genre de leader visionnaire qu’était Mandela lui survit. L’idée que le pays sombrera dans des émeutes raciales à la mort de Mandela est si improbable qu’elle en est ridicule, du fait, précisément, de l’œuvre que lui et ses semblables ont accomplie. Ils peuvent donc partir en paix, car ils ont mené à bien leur mission. Et ceux qui prétendent le contraire sont très éloignés de la réalité que Mandela a créée en Afrique du Sud : une réalité qui lui survivra longtemps.

Ce serait même faire injure à Mandela, renchérit son confrère de GROUND UP, que de faire croire que l'œuvre de sa vie se désintégrera à la fin de sa vie. Il est triste de voir vieillir, se fragiliser et tomber malades ceux que nous aimons. Il est triste d'assister à leur décès. Mais tout cela fait partie, inévitablement et nécessairement, de la vie et de la façon dont fonctionne le genre humain. La mort est un fait tragique et inéluctable, mais c'est aussi bien, parce qu'elle permet le changement. La fabrication de mythes sur Mandela le desservent, poursuit encore le journal. Elles réduisent sa vie à des citations édifiantes et servent d'excuses à toutes sortes de mauvais comportements tenus en son nom. Elles déshumanisent en somme Mandela et signifient, en réalité, que nous n'avons pas compris ses réalisations. Et d'en conclure, traitons Madiba avec tout le respect qu'il mérite, simplement, en acceptant sa condition humaine, sa fragilité, son déclin, sa condition de mortel et en reconnaissant que la vie continuera après sa disparition.

Tout ceci est encore résumé par une journaliste tanzanienne dans la revue AFRIKA. Nous sommes ces jours-ci confrontés, dit-elle, à la condition de mortel de Nelson Mandela. Or si dangereux soit-il d’idolâtrer une personnalité politique, tout le monde a besoin de croire à des manifestations tangibles de bienveillance. La pensée d’un monde où Madiba n’est pas présent pour prodiguer à tous les êtres, jeunes ou vieux, riches ou pauvres, Africains ou non les bienfaits de sa personnalité chaleureuse et de son affection de grand-père nous remplit de tristesse. Et face à cela, comment traiter la légende qu’est Madiba et comment la concilier avec la réalité de sa condition humaine ?

Réponse du FOREIGN POLICY cité par le magazine SLATE : la mort de Mandela sera peut-être l'occasion d'un charitable état des lieux, dit-il. En tant que pays, où se situe aujourd'hui l'Afrique du Sud, où devrait-elle être, et comment y arriver ? L'espoir pour une Afrique du Sud post-Mandela, c'est de voir des jeunes dirigeants trouver une voix nouvelle, libérer les partis politiques de la gabegie, continuer à se battre pour les droits de la majorité pauvre et offrir encore une fois une vigoureuse démocratie à l'Afrique du Sud. Ce qui est triste, c'est qu'il faudra sans doute le décès de Madiba pour que tout cela devienne possible.

Et THE DAILY MAVERICK d'en conclure ce matin, le temps est venu pour les Sud Africains d’aspirer à autre chose, exister autrement qu’en étant réduit à la simple condition de "La Nation de Mandela".