Les 4 étoiles du putschiste Sanogo passent mal au Mali

France Culture
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Par Marine de La MoissonnièreAu Mali, Amadou Sanogo, auteur du coup d'Etat contre Amadou Toumani Touré (ATT) en mars 2012, putsch qui avait précipité la chute du nord du pays aux mains de groupes islamistes armées liées à Al-Quaïda, a été fait général hier. Une décision qui suscite de nombreuses critiques dans le pays. "Les épaules d’Amadou Sanogo brilleront désormais de quatre étoiles ", écrit la BBC sur son site. Sanogo évite ainsi de passer par la case commandant, lieutenant colonel et colonel, souligne l'agence AP. "Le leader du coup d'Etat obtient une promotion ", titre le New York Times. Une promotion à laquelle personne ne s'attendait. C'est l'ultime décision du gouvernement de transition alors que les résultats définitifs de la présidentielle vont être annoncés aujourd'hui. "Contre toute attente, le capitaine Amadou Sanogo est devenu le nouveau général de l’armée malienne alors qu’il est à l’origine du coup d’Etat qui a renversé Amadou Toumani Touré ", s'étonne Assanatou Bladé sur le site Afrik.com. Et le journaliste de revenir sur ce putsch, lui aussi une surprise pour les Maliens. A l'époque, le capitaine était "encore méconnu ", écrit-il, et il a été épaulé par des militaires, les bérets verts. Sanogo a toujours affirmé avoir mené ce coup d'Etat pour de "bonnes raisons ". Il jugeait ATT "incompétent ", explique la BBC . Incapable de lutter contre les groupes islamistes et la rébellion touareg dans le Nord. La suite, on la connaît. Ce que l'on sait moins - et ce que révèle Assanatou Bladé, toujours sur le site Afrik.com - c'est que Sanogo a demandé pardon le mois dernier. Là encore, une surprise. "Une repentance qui a eu lieu à l’occasion d’une cérémonie de réconciliation entre factions de bérets verts, partisans du putsch, et bérets rouges, fidèles à l’ancien Président malien ", raconte le journaliste. Les deux anciens ennemis "se sont donnés l’accolade et le président malien a annoncé la libération de tous les militaires arrêtés dans le cadre des différends ", rapporte un témoin de la scène dans les colonnes d'Afrik.com . "Reste à savoir si ces actes de repentance se traduiront dans la réalité, sous la présidence d’Ibrahim Boubacar Keita, nouveau Président du Mali ? ", s'interroge le site. Cette promotion, c'est en tout cas une "formidable revanche " pour Sanogo, écrit Jeune Afrique qui rappelle que le tout nouveau général a été "renvoyé du prytanée militaire de Kadiogo, au Burkina, puis de l'école militaire de Koulikoro, au Mali. " Depuis août 2012, il dirigeait un comité chargé de réformer l'armée malienne. Mais le sort de l'ancien putschiste aurait tout aussi bien pu basculer dimanche dernier si le vainqueur de la présidentielle n'avait pas été IBK, mais Soumaïla Cissé. Comme l'écrivait il y a une semaine Kardiatou Traoré, sur le site Afrik.com, "en fonction des résultats [...] le capitaine Sanogo saura s'il va disposer de garanties ou au contraire faire l’objet de poursuites judiciaires" car il est "dans le collimateur de Soumaïla Cissé ". Cissé fervant opposant au coup d'Etat qui est allé jusqu'à créé "une large coalition anti-putsch, le Front pour la défense de la démocratie et la République ", raconte Afrik.com , tandis qu'IBK n'a pas vraiment pris de position. Cissé qui a surtout été brutalement arrêté par les hommes de Sanogo. Blessé, il avait passé plusieurs mois de convalescence en France et au Sénégal. S'il avait été élu, il aurait sans doute chassé Sanogo de la scène politique. Là au contraire, avec ses quatre étoiles, le général Sanogo pourrait revenir au premier plan. Cette promotion suscite de nombreuses réactions, pas forcément positives. Cela "risque de déplaire aux anti-putschistes au Mali qui reprochent à Amadou Sanogo d’avoir déstabilisé le pays ", explique la BBC . "Déplaire", le mot est un peu faible. Comme le souligne le Washington Post, cette décision est "critiquée par les militants des droits de l'Homme ". La preuve : cet article sur le site Maliactu.net qui revient très longuement sur ce qui est reproché à Sanogo et ses hommes. "Des violations très graves des droits humains, parmi lequelles des détentions arbitraires, des disparitions forcées, des attaques contre des journalistes et des actes de torture ", détaille le journal. Voilà qui fait dire à Human Right Watch que cette promotion est "scandaleuse ". "Au lieu d'être récompensé, Amadou Sanogo aurait dû faire l'objet d'une enquête pour sa responsabilité présumée dans ces actes ", écrit encore Maliactu.net qui rappelle que même après avoir abandonné le pouvoir, Sanogo a continué de sévir. "Avec le soutien des forces de sécurité qui lui sont restées fidèles, il a continué à exercer une influence considérable, à s'immiscer dans les affaires politiques et à marginaliser les membres de l'armée qui n'avaient pas appuyé le coup d'Etat ", raconte Maliactu.net . Selon Afrik.com , "les bérets rouges, qui étaient fidèles à l’ex-Président malien Amadou Toumani, n’ont eu aucun répit. Ils ont été traqués par les putschistes qui n’ont pas hésité à les emprisonner et à les exécuter arbitrairement."Cette promotion, c'est donc, pour Maliactu.net , "un signal négatif " envoyé "à d'autres potentiels auteurs de crimes ". Cela "représente un pas en arrière très inquiétant dans les efforts pour faire progresser l'état de droit " dans le pays. Le Mali "a longtemps souffert d'une culture de l'impunité ", déplore le site. Et ce n'est donc pas prêt de s'arrêter. Même si tout cela serait en réalité une manoeuvre, une tactique du nouveau président Ibrahim Boubakar Keita pour "préserver la stabilité du pays ". C'est en tout cas ce qu'ont affirmé des diplomates en poste à Bamako à l'agence Reuters. Le but serait en fait de contraindre Sanogo à prendre sa retraite. Il aurait négocié ses quatre étoiles qui lui permettent d'échapper à toute poursuite, en échange de son départ. Tant pis pour les droits de l'Homme. Reste à savoir si Sanogo tiendra parole.