Macron pourra-t-il faire changer d'avis Donald Trump et préserver ainsi l'accord sur le nucléaire iranien que le président américain s’apprête à dénoncer ? Cette perspective permettrait d'engager sous de meilleures auspices les négociations américano-coréennes prévues pour mai.
Étranges pas de danse entre Emmanuel Macron et Donald Trump : la plupart des journaux et des médias américains reviennent sur ces curieuses manifestations physiques - tactiles même - d'amitiés entre les deux hommes: les poignées de main, les "mains sur l'épaule" ; l'un entraînant l'autre par le petit doigt... et puis il y a ce que le Washington Post appelle (en français dans le texte) "l'affaire Dandruff" ; autrement dit "l'affaire des pellicules": ce moment où, dans le bureau ovale de la Maison Blanche et sous l’œil des caméras, Donald Trump entreprend de brosser le revers de veste du Président français lui faisant remarquer qu'il avait des pellicules. "Pas très diplomatique comme attitude souligne l'éditorialiste Dana Milbank dans le Post, mais il est vrai, poursuit-il que "la visite de Macron chez Trump ne ressemblait pas tant à un sommet qu'à une compétition, qui dure depuis un an, visant à déterminer lequel des deux sera le mâle dominant". Autant Macron avait pu prendre l'ascendant durant la visite de Trump à Paris l'an dernier, autant cette fois, "c'est bien Trump qui s'est posé en "dominant". Leur pas de danse autour de l'affaire des pellicules était probablement la démonstration d'intimité la plus forte d'un président américain vis à vis d'un leader étranger depuis que Georges W Bush avait annoncé qu'il avait partagé le dentifrice de Tony Blair lors d'une réception à Camp David... Comme Macron, Blair cherchait à l'époque a établir des liens étroits avec un Président avec lequel il avait de nombreux désaccords". Résultat de quoi, Blair avait fini par être surnommé "le caniche de Bush... à son tour, Macron finira -t-il par devenir le bichon frisé de Trump" ? Normalement, les gens flattent l'ego de Trump pour l'amener à des concessions sur des sujets plus substantiels. Mais ça n'a pas eu l'air de marcher pour Macron". Particulièrement pour ce qui est de l'accord sur le nucléaire iranien, que Trump a promis de déchirer alors que Macron entend le préserver.
Analyse sensiblement différente de Barbara Plett Usher sur les antennes de la BBC : "Qu'il se soit senti humilié par l'épisode des pellicules ou pas, Macron a bel et bien réussi a attirer l'attention de Trump sur les enjeux de cet accord iranien... Il a cadré son appel à préserver le "deal" iranien avec la promesse d'un "new deal", plus large ; en d'autres termes il s'agit de construire quelque chose à partir de l'accord existant plutôt que de déchirer celui-ci et de tout recommencer à zéro... Et la suggestion a été suffisante pour intéresser M. Trump. Le ton de ce dernier à d'ailleurs changé sur le sujet, Il est passé de la harangue vindicative à quelque chose de plus réfléchi, même si c'était toujours aussi évasif... Cela montre l'influence que peut avoir une relation personnelle forte avec le Président américain pour quelqu'un qui, comme M. Macron, sait lui parler".
Pour le site Politico, "l'idée de Macron, qui ressemble à un grand marché que les puissances du monde passeraient avec l'Iran, pourrait surtout faire gagner du temps à l'accord existant. Et Trump pourrait bien se sentir plus à l'aise avec l'idée de consolider ou d'élargir l'accord existant, une éventualité qu'il a dit vouloir essayer avant de déchirer complètement" l'accord signé à Vienne en 2015_._
Reste qu'en dehors de l'influence qu'Emmanuel Macron peut bien avoir sur un Donald Trump - lequel doit proroger ou sortir de l'accord iranien le 12 mai prochain - il est un autre paramètre qui entre en ligne de compte dans cette affaire, précise pour sa part le New York Times et ce paramètre c'est que, "quelle que soit la décision de Trump : rejeter l'accord ou le garder, elle influencera invariablement les pourparlers prévus avec la Corée du Nord quelques jours ou quelques semaines plus tard" ; c'est à ce moment là "que Kim Jong Un pourra juger de la possibilité de conclure un accord avec le Président Américain, ou pas ". Difficile en effet pour Donald Trump de se lancer dans la négociation d'un désarmement nucléaire avec la Corée du Nord juste après avoir dénoncé un accord similaire signé par son propre pays avec l'Iran.
Et, justement, en Asie, c'est plutôt la perspective de négociations autour de la Corée du Nord qui agite les éditorialistes aujourd'hui. A commencer par la rencontre entre les deux chefs d'Etat coréens, prévu vendredi sur la ligne de démarcation qui coupe la péninsule en deux. Que peut-il en sortir ? pas mal de choses selon The Diplomat, le site asiatique de référence... quelques résultats pratiques d'abord dans les sphères économiques - un relâchement des sanctions unilatérales de la Corée du Sud vis à vis de son voisin du Nord par exemple, sans parler des échanges culturels ou diplomatiques qui pourraient facilement être relancés et même sur le plan militaire, "les deux leaders coréens pourraient s'accorder sur une nouvelle déclaration jointe autour de la dénucléarisation de la péninsule. Les termes de la précédente, celle de 1992, sont de toutes manières obsolètes, compte tenu de l’acquisition par le Nord d'armes nucléaires".
Mais la rencontre entre les deux leaders coréens n'ira pas forcément plus loin, remarque pour sa part l'universitaire chinois Su Hao dans les colonnes du South China Morning Post, le grand journal de Hong-Kong... "les risques sécuritaires dans la péninsule, les programmes nucléaires et les crises... tous les problèmes trouvent leur origine dans l'hostilité qui existe entre la Corée du Nord et les Etats-Unis", pas la Corée du Sud, précise-t-il. Mais "si la rencontre prévue en mai entre Donald Trump et Kim Jong Un se déroule correctement , elle pourrait bien être suivie par des pourparlers à quatre avec les deux Corées et la Chine, histoire de rédiger un accord de paix... Et pour dénucléariser la péninsule il faudra se mettre à six" autour de la table, prévient encore Su Hao, incluant le Japon et la Russie dans la perspective.
Un accord multilatéral, à six, précisant les termes d'une dénucléarisation : c'est précisément ce qui a été signé avec l'Iran en 2015, et que Donald Trump entend, peut-être, dénoncer.
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