Chaque matin, l’actualité vue au travers de la presse étrangère. Aujourd’hui : La prise du dernier bastion irakien de l'EI, à Mossoul, s'annonce bien plus difficile que prévu.
Ali a 76 ans. Il est berger, habite Mossoul et récemment, il a enterré sa femme, sa sœur et ses deux neveux. Le long d'un mur, des pneus dressés font office de stèle. Et à leur côté, Ali a encore creusé un autre trou, lui toujours ouvert, destiné cette fois-ci à son fils, dont il n'a pas pu récupérer le corps, tombé trop près de la ligne de front. La photo à la Une ce matin du WALL STREET JOURNAL témoigne de ce que depuis une semaine, alors que les forces irakiennes resserrent chaque jour un peu plus leur étau sur les combattants djihadistes (retranchés dans la partie ouest de Mossoul), des dizaines de milliers de civils continuent, eux, de fuir les quartiers occupés par Daech, emportant avec eux la terreur qu'ils ont enduré pendant des mois. Et c'est ainsi, écrivent les deux envoyés spéciaux du quotidien américain, qu'on ne compte plus à présent les histoires sordides décrivant la brutalité avec laquelle l'organisation Etat Islamique se serre aujourd'hui de la population, comme de véritables boucliers humains.
Si la victoire des forces irakiennes semble se préciser, l'issue de la bataille de Mossoul n'est donc pas encore décidée. En réalité, le plus difficile reste à faire. Tout d'abord, parce que la partie ouest de la ville concentre le gros des forces djihadistes et que c'est aussi la plus peuplée, toujours habitée par des centaines de milliers de civils, qui ont eu pour consigne de rester sur place note THE NEW YORK TIMES. 750 000 civils au total, précise pour sa part L'ORIENT LE JOUR, dont 350 000 enfants qui attendent que les combats cessent, pour espérer recevoir des vivres de l’extérieur. Ce qui rend, évidemment, délicate la décision de mener des raids aériens et de recourir à l’artillerie lourde, mais réduit également la capacité de manœuvre des véhicules blindés, commente à son tour HA'ARETZ. D'autant que les cinq ponts qui enjambent le Tigre ont tous été détruits, donnant désormais à la ville ancienne des allures de cité fortifiée. Ensuite, les rues sur place y sont plus étroites qu'à l'est, de sorte que la bataille à venir sera probablement celle des snipers, prévient un haut-gradé irakien dans les colonnes du TELEGRAPH. Enfin, même dans la moitié est de Mossoul (pourtant libérée fin janvier par les forces irakiennes), Daech continue également de terroriser la population, précise à nouveau THE WALL STREET JOURNAL, grâce notamment à des drones (disponibles dans le commerce) à partir desquels ils jettent des bombes sur les civils et les travailleurs humanitaires.
En d'autres termes, à Mossoul, les combats pourraient se prolonger encore pendant plusieurs mois. Et d'ailleurs, dans la partie orientale de la ville, alors que les djihadistes avaient opposé une résistance relativement faible, il avait malgré tout fallu trois mois de combats pour arriver à sa libération. Ce faisant et en dépit de ce qu'écrivait le magazine FOREIGN POLICY au début de l'opération, le 17 octobre dernier, « La Libération de Mossoul est proche », la prise du dernier bastion irakien de l'EI s'annonce déjà bien plus difficile que prévu.
Mais dans un pays en proie aux divisions, cette bataille s'avère cruciale pour reconstruire l'unité nationale. Dans un paysage de chaos, la guerre est souvent une opportunité pour un État d'unifier à nouveau son peuple. Et la figure du héros est généralement un médium idéal pour magnifier le bruit des balles. Or la bataille de Mossoul a tout justement du décor d'un film de super-héros. Au casting, écrit le magasine SLATE, on trouve non seulement un ennemi absolu, Daech, dont les combattants vêtus de noirs sèment la terreur, mais aussi une ville, à l'allure de Gotham City, où les étroites ruelles ont été piégées par plusieurs milliers de combattants djihadistes. Et dans le camp d'en face, le régime de Bagdad fabrique, donc, ses héros venus délivrer le peuple irakien de l'occupant, au premier rang desquels les troupes d'élite de la « Division d'or » qui accapare la lumière sur le front. Et cette héroïsation de l'armée, le gouvernement irakien en avait bien besoin. Tout d'abord, parce qu'il fallait symboliquement redorer l’image d’une armée forte face à Daech. Et puis parce que sous le vernis de la guerre se cachent, en réalité, toutes les divisions qui gangrènent le pays et qui ont justement permis aux combattants de l'EI de s'implanter à Mossoul. Non seulement les sunnites (écartés du pouvoir à la suite de l'invasion américaine) s'estiment discriminés par un pouvoir sectaire, mais ils sont par ailleurs accusés par les chiites (dont certaines milices participent à la libération de Mossoul) d'avoir collaboré avec les djihadistes. D’où cette question : Comment réconcilier ce pays déchiré par les rivalités religieuses et politiques ?
Voilà pourquoi, plus l’on s’approche de la fin de l’effort de guerre et plus se pose, en réalité, la question cruciale du jour d’après. En clair, si la reprise de Mossoul détermine, dans une large mesure, le sort de l’État islamique, la façon dont cette ville sera gérée déterminera, tout autant, l’avenir politique de l’Irak, écrit le quotidien HA'ARETZ cité par le Courrier International. Or jusqu'à présent aucun plan n’a été formulé pour clarifier les termes de la reconstruction et surtout la répartition du contrôle au sein de Mossoul. Si en Syrie, par exemple, la Russie est en mesure de peser sur la composition d’un futur régime, en Irak, en revanche, toutes les questions fondamentales reposent aujourd'hui sur les seules épaules du gouvernement irakien.
Enfin dernier questionnement s'agissant du jour d'après, lorsque Mossoul sera entièrement libérée du contrôle qu’exerçait depuis deux ans l’organisation Etat Islamique, celle-ci devra faire le choix stratégique le plus décisif, sans doute, de sa brève histoire : soit se replier dans les zones qu’elle contrôle (dans le nord-est de la Syrie), soit abandonner la stratégie d’occupation territoriale et disperser ses forces dans d’autres pays arabes. Ou dit autrement revenir en somme au modus operandi d’Al-Qaïda (fondé sur une structure de branches et de cellules autonomes). Or à ce jour, nul ne connaît les options que privilégieront les dirigeants de l’organisation État islamique.
Par Thomas CLUZEL
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