Pantalonnade diplomatique.

Une fillette marche dans les rues de Tariq al-Bab, près d’Alep.
Une fillette marche dans les rues de Tariq al-Bab, près d’Alep. ©Maxppp - Abdalrhman Ismail
Une fillette marche dans les rues de Tariq al-Bab, près d’Alep. ©Maxppp - Abdalrhman Ismail
Une fillette marche dans les rues de Tariq al-Bab, près d’Alep. ©Maxppp - Abdalrhman Ismail
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Chaque matin, l’actualité vue au travers de la presse étrangère. Aujourd’hui : le mystère continue sur la tenue prochaine des pourparlers de paix sur la Syrie.

Les fameuses «invitations» à destination des différentes parties appelées à résoudre le conflit sont censées être parties hier. Mais qui, concrètement, sera invité ? Mystère. Et qui, encore plus concrètement, acceptera de se prêter au jeu et de venir participer à des discussions destinées à durer six mois et à propos desquelles personne, aujourd’hui, ne se fait la moindre illusion ? Bien malin, ce matin, celui qui pourrait répondre. Et pourtant, des membres de cette délégation dépendra bien évidemment la teneur des discussions et surtout, la place qui sera accordée à la question centrale : l’avenir de la Syrie se dessinera-t-il avec ou sans Bachar el-Assad ?

En réalité, voilà deux ans maintenant que le raout diplomatique engagé alternativement à Genève et à Montreux est au point mort, rappelle ce matin le quotidien suisse LE TEMPS. Or tandis que la guerre en Syrie a déjà fait plus d’un quart de million de victimes et qu’elle continue de jeter sur les routes des millions d’autres, il n’était pas question pour le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, de laisser passer cette date sans broncher. En clair, le processus devait se remettre en marche, avec toutefois cette contrainte : qu’il ne se transforme pas en une nouvelle pantalonnade inutile, autrement dit un remède qui serait pire que le mal.

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Et le moins qu'on puisse dire, c'est que c'est visiblement c'est plutôt mal parti. Après avoir été reportée déjà à deux reprises, la date d'ouverture de ces discussions était finalement prévue pour lundi dernier mais elle a dû être à nouveau reportée à vendredi, en raison d'un blocage sur la composition des délégations. L'invitation de certains belligérants à la table des négociations pose, en effet, problème. Moscou réclame notamment la participation de l’organisation kurde syrienne PYD, ce que rejettent, en revanche, Washington et Ankara. Et puis la Russie s’oppose, par ailleurs, à la présence de groupes islamistes qu'elle place dans le camp des «terroristes» mais sans lesquels aucune issue, bien évidemment, n’est envisageable. C'est d'ailleurs ce que pointe la SÜDDEUTSCHE ZEITUNG. Bien sûr, les groupes islamistes ne sont pas des partenaires sympathiques, ni sur le plan idéologique, ni sur celui des droits de l'homme. Moscou a raison sur ce point. Mais si c’était là le seul critère de référence, cela fait longtemps qu’on aurait également disqualifié au titre d'interlocuteur le régime de Bachar el-Assad, lequel clame sa légitimité sans cesser de bombarder son propre peuple. Et puis surtout, en Syrie, les islamistes contrôlent aujourd'hui des dizaines de milliers de combattants. En clair, les exclure signerait l’échec certain de tout cessez-le-feu potentiel. Or il ne peut y avoir de victoire militaire dans ce conflit, rappelle le journal de Munich, et Moscou, dit-il, devrait enfin l'avoir compris.

Et puis dans le chaos qui règne en Syrie depuis 2011, on croyait que le soutien de la Russie au président Bachar el-Assad était indéfectible. Et pourtant, selon THE FINANCIAL TIMES repéré par le Courrier International, Moscou aurait demandé à celui qui résiste depuis longtemps à l’Occident de démissionner. De son côté Moscou, précise THE GUARDIAN, nie ces affirmations. En revanche, il y a quelques jours à peine, Poutine lui-même reconnaissait dans une interview à BILD que, s’il était trop tôt pour envisager un asile pour el-Assad, le président syrien dernier avait commis beaucoup d’erreurs. Un seul homme pourrait, en réalité, donner le fin mot de cette histoire rapportée par THE FINANCIAL TIMES : l’envoyé de Moscou à Damas. Seulement voilà, il est décédé le 3 janvier dernier. Pour quelle raison ? Un responsable gouvernemental invoquait récemment à une agence de presse russe la fatigue et le manque de sommeil. Bref, un mystère de plus.

Dès-lors, comment éviter l’échec de ce nouveau cycle de négociations ?

La trouvaille de l'émissaire de l'ONU est d'abord qu'il n’y aura pas de «cérémonie d’ouverture» pour le processus. Les délégations, en outre, ne doivent pas se rencontrer. Il y a au Palais des Nations assez de place pour tous. D’autant que les discussions séparées (personne ne parle plus de «négociations») pourront s’étendre sur une durée de six mois. Reste à savoir s'il n'y aura qu'une seule délégation pour l’opposition ou deux distinctes, «l’opposition russe» d’un côté et «l’opposition saoudienne» de l’autre ? Pour l'heure, personne n’en sait rien. D’autant que s'agissant de l'opposition saoudienne, le HCN (Haut comité des négociations), l'instance mise en place à Riyad par des formations clé de l'opposition syrienne avait insisté pour être la seule représentante de l'opposition. Or voilà qu'hier, des figures de l'opposition n'appartenant pas à ce haut comité ont affirmé avoir reçu une invitation des Nations Unies. Et depuis, le HCN laisse à nouveau planer le doute sur sa participation à ces négociations. En d'autres termes, le processus n’en finit plus de dérailler.

En attendant, les agences humanitaires, elles, attendent des gestes concrets de la part des négociateurs.

Depuis le début de la guerre, les Nations Unies passe leur temps à demander la permission d’agir. Mais c’est pire maintenant car les parties au conflit sont devenues encore plus cyniques, déplore un humanitaire interrogé dans les colonnes du TEMPS. Selon l’ONU, près de 400 000 personnes sont assiégées en Syrie et 4,5 millions sont difficilement atteignables. Or nous pourrions leur venir en aide en quelques jours seulement, pour les premiers et en quelques semaines pour les seconds, affirme le secrétaire général du Conseil norvégien pour les réfugiés, l’une des ONG les plus actives en Syrie. Les parrains des belligérants ont d'ailleurs aujourd'hui le pouvoir d’obtenir un accès humanitaire illimité, dit-il, citant pêle-mêle les Etats-Unis, la Russie, l’Arabie saoudite, la Turquie et l’Iran. Mais le veulent-ils vraiment ? Le coordinateur de l’ONU à Damas est forcé d’admettre que les belligérants syriens ne laissent présager d’aucune avancée sur le front humanitaire. Enfin et pour ne rien arranger, la moitié des Syriens privés d’aide sont aujourd'hui sous la coupe de l’organisation Etat islamique, laquelle n’est pas conviée aux négociations de Genève. L’ONU n’écarte pas l’idée de traiter avec Daech mais ne se berce pas d’illusions sur une éventuelle réciproque.

D'où ce commentaire, en guise de conclusion, signé du journal suisse NEUE OSNABRÜCKER ZEITUNG qui décrit la triste réalité en Syrie : cinq années de guerre, 250.000 morts, onze millions de déplacés et toujours pas de volonté réelle de faire la paix. Quelle honte !

Par Thomas CLUZEL