Chaque matin, l’actualité vue au travers de la presse étrangère. Aujourd’hui : le bras de fer se durcit entre le gouvernement et la CGT, qui en organisant la pénurie de carburant, tente de paralyser l'économie française pour obtenir le retrait de la loi Travail.
La France nous inquiète. Le risque d'une France qui craque, c'est sous ce titre, notamment, que le journal de Lausanne LE TEMPS analyse toute cette semaine un pays qui fascine autant qu'il trouble. Et c'est vrai qu'à voir les photos publiées, par exemple, dans la presse britannique, la France serait ni plus ni moins qu'un pays en feu, au propre comme au figuré. Partout les mêmes images de pneus brûlés et de syndicalistes prêts à en découdre. Tandis que la grève du carburant bloque de nombreux touristes, voilà que des bagarres éclatent à présent dans les stations-service, écrit ainsi THE DAILY MAIL. Le journal populaire et ouvertement de droite a même lancé un appel à témoin à ses ressortissants pris au piège dans l'Hexagone. Parmi eux, James, raconte le désespoir des vacanciers britanniques et l’irruption de la violence générée, par la rareté des approvisionnements : «un de mes amis, qui habite au Mans, m’a raconté qu’il y a deux jours, des gens se sont battus avec la personne chargée de rationner le débit à la pompe». Toujours dans les colonnes du quotidien de Londres, repéré par le Courrier International, un voyagiste conseille, lui, aux vacanciers de ne pas se laisser prendre de court. «Si vous devez traverser la France, remplissez votre réservoir avant de quitter le Royaume-Uni. Planifiez bien et préparez-vous. Vous aurez alors, peut-être, une chance de ne pas être bloqués, de ne pas faire la queue pendant des heures et surtout de ne pas annuler votre voyage».
En Allemagne, cette fois-ci, le quotidien de Düsseldorf, HANDELSBLATT, estime qu'en maintenant leur appel à bloquer les raffineries pour protester contre la loi Travail, les syndicats outrepassent leur rôle de négociateur social. Des militants FO et CGT qui bloquent des dépôts de carburants et demandent le retrait de la loi, ce genre d’action est tout simplement inenvisageable chez nous, écrit le correspondant du journal. Les syndicats ne devraient pas avoir le droit de remettre en cause une loi qui est passée au Parlement, dit-il, d’autant plus qu’il s’agit là d’une formation, la CGT, qui est minoritaire parmi l’ensemble des salariés français. Et le journaliste de considérer encore que la loi Travail est une bonne loi, même si elle reste, selon lui, insuffisante. L'occasion également de rappeler qu'en 2003, les réformes de Schröder étaient, elles, bien plus radicales en Allemagne. Elles avaient, d'ailleurs, suscité une opposition virulente. Reste que depuis le chômage a baissé. Et voilà pourquoi, selon son confrère SÜDDEUTSCHE ZEITUNG, le président français aurait raison de tenir bon face à la contestation. Ce faisant, il se comporte, dit-il, en digne héritier de Gerhard Schröder, qui avait lui aussi imposé une réforme impopulaire du droit du travail.
Le problème, rappelle THE FINANCIAL TIMES, c'est que François Hollande, élu sur un manifeste construit autour des valeurs socialistes traditionnelles, a échoué à faire avaler les réformes, à une opinion publique sceptique. Au lieu de ça, il a passé sa première année de mandat à répéter ses promesses séduisantes, à un public conquis pendant la campagne. Et aujourd’hui, ses électeurs se sentent trahis. Au point même, précise son confrère THE TELEGRAPH, que François Hollande connaît à présent la plus faible cote de popularité pour un président français, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
La contestation sociale peut-elle amener le gouvernement à reculer ?
Pour le journal suisse LE TEMPS, la réponse est à priori négative. Même si l'ouest et le nord du pays subissent, depuis plusieurs jours, un début de pénurie de carburant, les réserves ne manquent pas et les infrastructures d'approvisionnement fonctionnent. Et puis sur le plan des transports, cette fois-ci, l'instauration sous le quinquennat Sarkozy d'un service minimum en cas de conflit majeur devrait aussi permettre d'éviter un arrêt brusque de l'économie.
En fin de compte, le vrai défi, alors que la France est déjà en campagne électorale, parait donc avant tout symbolique. D'abord, parce que les images des manifestations à répétition et des confrontations alimentent, à l'étranger en particulier, ce que l'ancien député européen écologiste Daniel Cohn Bendit nomme dans les colonnes du journal un «épuisant mélodrame de la crise». En réalité, l'attachement au projet de loi El Khomri de la part de François Hollande, ce tacticien impopulaire, toujours considéré comme un président faible, s'explique avant tout parce qu'il en connait l'envers : un renoncement devant la CGT, un an avant la fin de son quinquennat, porterait un coup fatal à son dernier capital de crédibilité. Et d'ailleurs, ne suggère-t-on pas à l’Élysée que l'option dure de la CGT n'est pas si surprenante et qu'elle fait même partie du jeu. Ou quand l'exécutif garde la main.
D'où ce commentaire, à lire dans les colonnes du SOIR de Bruxelles. Le plus insupportable, écrit l'éditorialiste, c’est que l’emploi n’est certainement pas la préoccupation première des acteurs de ce psychodrame. La loi El Khomri n’est, en réalité, qu’une occasion pour les uns et les autres de se positionner dans un jeu autrement plus obsessionnel : la prochaine présidentielle. Manuel Valls, déjà horripilé par l’échappée d’Emmanuel Macron, veut faire la démonstration de son autorité et de son réformisme. Les frondeurs, eux, n’ont qu’une préoccupation : savonner la planche de François Hollande pour qu’il ne soit pas réélu. C’est le coup d’après la défaite de 2017 qu’ils jouent. Et toujours dans cette bagarre d’hypocrites, même la droite ne joue pas franc-jeu. Si elle a présenté une motion de censure c'est parce qu’elle savait qu’elle ne serait pas adoptée. D'ailleurs, renverser le gouvernement aurait conduit à une nouvelle cohabitation avec Nicolas Sarkozy à Matignon. Or ce n'est pas franchement ce que souhaitent ses rivaux à la primaire. Toujours est-il que le résultat est aujourd'hui désastreux. Même si l’histoire de la gauche française est jalonnée de guerres et de divisions, le divorce d’aujourd’hui est plus grave que jamais, car il porte en lui l’adieu même au pouvoir. Et le quotidien de Bruxelles d'en conclure, ainsi séparées, les deux gauches n’ont plus aucune chance aujourd'hui de construire une future majorité, dans un mode politique désormais tripolaire, où le Front national fait jeu égal avec les formations qui se partageaient, jusqu’alors, l’alternance.
Par Thomas CLUZEL
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