Quand réputation ne rime pas forcément avec éducation

Manifestation contre les discriminations racistes à l'université High School for Girls de Pretoria
Manifestation contre les discriminations racistes à l'université High School for Girls de Pretoria ©AFP - Xander Janse van Rensburg
Manifestation contre les discriminations racistes à l'université High School for Girls de Pretoria ©AFP - Xander Janse van Rensburg
Manifestation contre les discriminations racistes à l'université High School for Girls de Pretoria ©AFP - Xander Janse van Rensburg
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Chaque matin, l’actualité vue au travers de la presse étrangère. Aujourd’hui : le classement mondial des meilleures universités, le passé esclavagiste de l’université américaine de Georgetown et le racisme ordinaire à l’université sud-africaine de Pretoria.

A l'occasion de la publication, ce matin, par le think tank britannique Quacquarelli Symond, du top 20 2016 des meilleurs universités mondiales (et duquel il ressort que les établissements anglo-saxons figurent, toujours et encore, largement en tête), le quotidien DAILY TELEGRAPH cité par le Courrier International s'interroge : les écoles britanniques méritent-elles leur réputation ? Car si le succès des écoles internationales qui s’inspirent du modèle privé britannique ne se dément pas, en revanche, la réputation de l’enseignement britannique suscite, depuis quelque temps, des réactions pour le moins contrastées, selon qu’on le considère de l’étranger ou de l’intérieur. En clair, si le Royaume-Uni est aujourd'hui considéré comme un fleuron mondial en la matière, admiré et même imité dans bien des pays, vu de l'intérieur, le système paraît cette fois-ci en perdition et fait l’objet d’incessantes critiques, qu’il s’agisse des examens, des académies, du financement ou de la pénurie d’enseignants.

Ou dit autrement, le système éducatif britannique est admiré dans tous les pays sauf un, le Royaume-Uni. A tel point, d'ailleurs, qu’on a parfois l’air de faire du mauvais esprit (voire de parler d’un autre pays) quand on évoque, avec nos compatriotes, l’aura internationale de nos écoles. Pourquoi ? Parce que lorsqu'on vante la richesse de l’offre d’apprentissages proposée par nos établissements il s'agit, dans une large mesure, d’un système que la majorité de nos compatriotes ne connaissent pas.

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Même analyse pour la revue spécialisée, WORLD EDUCATION NEWS AND REVIEWS : De marché de niche destiné à satisfaire les besoins des enfants des expatriés et des diplomates, le marché de l’enseignement à l’international est devenu un secteur en plein essor et hautement lucratif, qui puise jusqu’à 80 % de ses élèves dans les familles locales le plus souvent aisées. En d'autres termes, là où les écoles étaient majoritairement à but non lucratif, la plupart sont désormais des entreprises qui mettent leurs résultats financiers au cœur de leurs préoccupations.

Au classement mondial des meilleures universités, Georgetown (États-Unis) n'apparaît qu'à la 214ème place mais elle veut pays payer sa dette

L'histoire remonte au XIXe siècle, alors que ce collège ne s’appelait pas encore Georgetown. A l'époque, les Jésuites qui dirigeaient l’école possédaient des esclaves, travaillant dans les plantations de sucre du Maryland. Et puis en 1838, alors que l’université se retrouvait en difficulté, 272 de ces esclaves furent vendus et envoyés dans des plantations en Louisiane. La vente rapporta l’équivalent de plus de 3 millions de dollars actuels, dont 500 000 dollars qui servirent à éponger les dettes du collège. Or aujourd’hui, Georgetown veut réparer sa faute, peut-on lire sur le site Big Browser.

La semaine dernière le président de l'Université a précisé qu’il souhaitait, en effet, s’excuser dans la tradition catholique (l’établissement étant toujours officiellement affilié à cette religion). Deux bâtiments qui portaient jusqu’ici le nom de prêtres jésuites, impliqués dans la vente des 272 esclaves, ont été débaptisés. L’université va également dresser un mémorial sur le campus. En revanche, d'autres annonces suscitent d'ores et déjà des critiques. En particulier, il a été décidé de donner à l'un des bâtiments le nom de l’une des victimes, ou plus exactement son prénom (Isaac), ce qui fait dire à l'éditorialiste du NEW YORK TIMES qu'utiliser seulement le prénom rejoue la condescendance raciste des propriétaires d’esclaves. Et puis au chapitre des mesures concrètes et pas seulement symboliques, l’université a également décidé d’accorder des conditions d’admission préférentielles aux descendants d’esclaves. Une première aux États-Unis mais qui, là encore, ne fait pas tout à fait l’unanimité. Le journal de New York souligne que cette décision est certes louable, mais qu’il manque ce qui constituerait un vrai palliatif à la position socialement fragile des descendants d’esclaves, par rapport aux Américains blancs : un système de bourses pour les aider financièrement, et pas uniquement au stade de l’admission.

Enfin, interrogée toujours dans les colonnes du quotidien américain, l’une des descendantes d’esclaves dit regretter de ne pas avoir été formellement invitée, ainsi que beaucoup d'autres, à venir écouter la semaine dernière les annonces du président de l'Université. «Ils nous disent que nous sommes de la même famille. Eh bien, je suis de la Nouvelle Orléans, et chez moi, dit-elle, quand on se rassemble, on invite la famille.»

En Afrique du Sud, plus de vingt ans après la fin officielle de l'apartheid, le racisme semble toujours bien ancré et notamment à l'université

Voilà 10 jours, maintenant, que les élèves de la prestigieuse Pretoria High School for Girls manifestent à cause, notamment, des discriminations liées à leur coupe de cheveux. «J’ai une coupe afro naturelle, mais un professeur m’a dit que je devais les coiffer, parce que ça ressemblait à un nid d’oiseau», explique en particulier une élève interrogée sur le site d'information américain QUARTZ. Dans les colonnes du GUARDIAN britannique, une autre jeune fille raconte qu'elle s’est entendue dire que sa coupe de cheveux empêchait les autres d’apprendre. Toujours selon elle, certaines ont également été forcées de quitter la classe pour aller se lisser les cheveux. Une élève révèle que sa mère l'a même forcé à se couper les cheveux pour éviter d'avoir des problèmes à l'école.

Harcèlement, moqueries, nombre d'élèves dénoncent aujourd'hui une appréciation arbitraire du code de conduite de l’établissement, qui ne mentionne aucune coupe de cheveux spécifique. Et de fait, précise de son côté le magazine SLATE AFRIQUE, officiellement l'école exige simplement que les tresses, les dreadlocks et les nattes ne dépassent pas 10mm de diamètre et de s’attacher les cheveux en arrière dès qu’ils sont suffisamment longs.

En un peu plus d'une semaine, une pétition en ligne a déjà recueillie près de 30 000 signatures. Car c'est loin d'être là, en réalité, la seule manifestation du racisme dans cette prestigieuse université de Pretoria : les étudiantes ont également subi des pressions pour éviter de parler dans leurs langues sud-africaines, vues comme des «bruits bizarres». Pire, dans cet établissement autrefois réservé aux Blancs, certains ont exigé qu'elles retournent dans les écoles des townships de la ville, car elles étaient trop noires pour réussir. Sur le site d'AL JAZEERA, une militante des droits des femmes et des jeunes filles explique qu'en Afrique du Sud les familles pauvres sont aujourd'hui forcées d'inscrire leurs enfants dans des écoles privées, à cause de la mauvaise qualité d'enseignement des écoles publiques, avant d'ajouter : «C'est une honte. Vingt ans après l'arrivée de la démocratie, nos enfants continuent à souffrir du racisme, mais cette fois c'est nous qui devons payer pour qu'elles en soient victimes.»

Par Thomas CLUZEL