Il s'appelle Yasser... La dernière fois que Yasser se souvient s'être endormi chez lui, c'était le 13 avril, à Sheikh Massoud, tout près d'Alep. C'était juste après la prière, la nuit était tombée. Dans la maison, tout était calme, déjà les enfants dormaient... Puis il y eu l'explosion. Il y eu l'odeur. La panique. Il y eu les enfants, la salive plein la bouche... Les enfants qui suffoquaient.
Quand Yasser, quelques jours plus tard, allongé sur un lit d'hôpital, raconte la scène à des journalistes de ABC News. Il ne sait pas... Il ne sait pas que ses enfants sont morts. Le médecin qui le soigne ne veut pas le lui dire. Aux journalistes, le médecin raconte les symptômes, la bave, l'hyperventilation, les convulsions. Il ne sait pas qui a fait quoi, qui a tiré, l'armée loyaliste, ou les rebelles. Il ne sait pas de quoi il s'agit exactement, ce qu'il croit, c'est que ce sont des agents chimiques qui ont causé la mort des enfants de Yasser. C'est aussi ce que pense le docteur Niaza Habash, ce médecin syrien dont le Daily mail diffuse la vidéo là encore apparemment tournée à Cheikh Massoud, le 13 avril, montrant des blessés la bave aux lèvres.
Alors, armes chimiques ou pas... La ligne rouge à ne pas franchir, comme l'avait promis l'été dernier Barak Obama, cette fameuse ligne rouge a-t-elle été franchie? Ces derniers mois, plusieurs fois, des soupçons... Vite éventés par la communauté internationale. Il faut des preuves, disait-on alors, à juste titre. Et pour obtenir des preuves, il faut suivre une procédure; très complexe : il faut pouvoir vérifier, contre vérifier, procéder à des prélèvements. Ah oui, mais... problème. Pour cela, il faut être sur place et ça, en Syrie, c'est compliqué. Alors, quand le régime syrien lui même il y a un mois a saisi les Nations Unies en accusant les rebelles d'avoir utilisé des armes chimiques, celles ci ont saisi la balle au bond, et réclamé de vérifier sur place. Vérifier partout, et surtout vérifier toutes les accusations, celles du régime, mais aussi celles de la rébellion...
Or, aujourd’hui pendant que Yasser attend sur son lit, sans savoir que ses enfants sont morts, le Jérusalem Post rappelle que les inspecteurs des Nations Unis attendent, eux, à Chypre, que Damas accepte, enfin, de les laisser entrer sur le territoire pour enquêter... Mais ... silence radio. Damas ne répond plus.
Londres et Paris disent avoir transmis aux Nations Unies des éléments de preuve. Des militaires israéliens disent désormais que du Sarin a très probablement été utilisé contre les civils syriens. Mais à Washington, on dit que non, tout n'est pas si clair. Bref, qu'on a aucune preuve.
Bashar el Assad n'est pas un imbécile, cingle le Financial Times. Depuis toujours, il teste les limites, jusqu'où aller, avant de provoquer une réaction. Or ces limites, note le Financial Times avec un certain art de la litote, sont étonnamment élastiques.
Le journal analyse les raisons de la prudence d’Obama. Il note que l'obsession de la Grande Bretagne et de la France à agir en Syrie, ne lui peut rappeler qu'une chose, leur insistance à faire de même en Libye en 2011. Or, rappelle le journal, le soutien des américains à l'époque ne leur a valu qu'une seule et amère récompense: l'attaque meurtrière contre leur mission diplomatique à Benghazi, le 11 septembre dernier.
Paris et Londres ne sont pas les seules à pousser Washington à agir. Il y a Israël, aussi, avec qui les relations sont tendues, et pour cause! Cela fait deux ans que Benyamin Netanyahu pousse Barak Obama à définir - tiens donc, on y revient - une autre ligne rouge, plus importante encore pour lui, la ligne rouge du nucléaire iranien
Vu du côté de Washington, cette ligne rouge, elle se situe vers le passage effectif à l'armement nucléaire. Oui, mais là aussi, problème. Car du côté de Tel Aviv, elle ne passe pas tout à fait au même endroit cette ligne rouge reprend le journal, puisque pour Israël, il ne pas question d'attendre et de supputer jusqu'où l'Iran est capable d'enrichir son uranium et développer son programme militaire.
En bref, résume un militaire israélien "La Syrie teste les états unis en utilisant les armes chimiques à petites doses. Si les états unis ne réagissent pas, cela renvoie un message que leurs lignes rouges ne les feront pas bouger. Or qui a eu droit aussi à la menace de la ligne rouge? Et bien c'est l'Iran. Et l'officier de conclure : la logique d'Israël, c'est que l'Iran regarde ce qui se passe en Syrie pour voir jusqu'où les Etats Unis sont prêts à aller... CQFD.
Alors voilà... résumons la leçon de géométrie du matin. C'est un cours de géométrie variable. La ligne rouge est un concept mouvant, elle bouge, se rapproche, s'éloigne, au gré d'un horizon incertain. Si besoin, elle clignote en orange, ou se transforme en feu vert. La ligne rouge est floue, elle est peut être brouillée par les larmes des civils, par le fracas des armes, par le cynisme de la géopolitique, et surtout l'infinie complexité d'un conflit syrien où rien n'est blanc ou noir. Ou tout se fond. « Il n'est plus question de tester les limites », résume encore le Financial Times. « Car de limites, il n'y en a pas ».
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