Schizophrénie politique

Manifestation à Vienne contre l'entrée possible de l'extrême droite au gouvernement
Manifestation à Vienne contre l'entrée possible de l'extrême droite au gouvernement ©AFP - JOE KLAMAR
Manifestation à Vienne contre l'entrée possible de l'extrême droite au gouvernement ©AFP - JOE KLAMAR
Manifestation à Vienne contre l'entrée possible de l'extrême droite au gouvernement ©AFP - JOE KLAMAR
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Le jeune leader conservateur autrichien Sebastian Kurz souhaite parvenir à former un gouvernement d'ici à Noël. Pour cela, il a engagé des négociations exclusives avec le Parti de la liberté d'Autriche (FPÖ), classé à l'extrême droite.

En Autriche, tout d'abord, ils étaient plusieurs milliers, hier soir, une bougie à la main à se tenir debout devant la chancellerie. Un long cordon humain lumineux, raconte LE VIF, pour mettre en garde contre l'arrivée, a priori, imminente de l'extrême droite au gouvernement. Vainqueur des élections organisées le mois dernier, le jeune leader conservateur Sebastian Kurz a en effet décidé d'engager des négociations exclusives avec le parti FPÖ, dont chacun sait qu'en dépit des efforts de ses cadres pour en polir l'image il reste, régulièrement, confronté aux dérapages racistes et antisémites. Hier, précise DIE PRESSE, le président lui-même (pourtant élu il y a un an contre un candidat FPÖ) a pour la première fois nommément cité deux personnalités issues de l'aile droite de ce parti, comme possibles futurs ministres. Et pourquoi s'en priverait-il ? Si certains, à l'image de ceux qui se sont rassemblés hier soir, ne veulent pas du FPÖ au gouvernement, les sondages révèlent qu'une majorité d'Autrichiens, en revanche, est prêt à donner sa chance à une coalition entre conservateurs et extrême droite. 

Comment on est-on arrivé là ? En réalité, ce bouleversement de l'ordre politique n'est plus seulement une question autrichienne, analyse POLITICO. Le glissement vers l'extrémisme est devenu une tendance européenne. Et voilà pourquoi, désormais, elle ne semble plus aussi controversée. C'est ainsi, par exemple, qu'en Hongrie on a pu encore récemment entendre le président du Parlement qualifier la démocratie libérale de «système politique totalitaire». Et puis en Pologne, là le développement est encore plus flagrant. Le weekend dernier, à l'occasion de la fête de l'indépendance, l'extrême droite a effectué son plus grand défilé en date : 60 000 manifestants au total, hurlant «Dieu! Honneur! Patrie!» et glorifiant le «white power». Ou quand la haine règne dans les rues de Pologne, déclare avec effroi DE TELEGRAAF. Or comment le gouvernement a-t-il, lui, réagi à ce défilé truffé de slogans antisémites et racistes ? Réponse du quotidien DENNIK : Le ministre de l'intérieur a, tout simplement, fait remarqué, joyeusement, le beau tableau que les participants avaient donné à voir. Consternant. Un cas surprenant, écrit PUBLICO, de schizophrénie politique. D'où l'avertissement lancé, cette fois-ci, par le journal GAZETA WYBORCZA : Il est possible, comme le fait la majorité indifférente, de se prélasser sans prendre position. Mais vous tous qui voyez la fascisation de la vie publique sans vouloir vous avouer la vérité ; qui l'entendez mais faites la sourde oreille ; ou vous qui vous en fichez tout simplement, sachez que vous ne serez pas moins coupables que ceux qui voient, entendent, comprennent et … se réjouissent.

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Direction à présent le Zimbabwe, où tous les ingrédients d'un pronunciamento sont désormais réunis. Après avoir placé la veille le président en résidence surveillée, hier, l'armée a pris le pouvoir au Zimbabwe. Et si pour l’instant, écrit LE PAYS, le coup d’Etat ne semble pas formellement consommé, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il prévaut une situation de confusion générale. Seule certitude, la bataille pour la succession de Robert Mugabe est au cœur de cette spectaculaire escalade. De quoi laisser perplexe la très grande majorité des Zimbabwéens qui n'ont jamais connu d'autres leaders que le vieux «Crocodile» au pouvoir depuis près de 40 ans. Et le journal de s'interroger : Faut-il plaindre le vieux Bob ? En toute logique, renchérit L'OBSERVATEUR PAALGA, en bonne démocratie on devrait condamner toute irruption de l'armée dans le jeu politique. Mais étions-nous seulement en bonne démocratie chez papy Bob ? Certainement pas. Voici un monsieur qui, après avoir lutté héroïquement contre le colon britannique s’est, une fois l’indépendance acquise, mué petit à petit en despote. Voilà pourquoi, même si la règle veut que le passage par les urnes soit le seul mode de dévolution du pouvoir, on ne va pas plaindre Robert Mugabe. Voilà où mène la patrimonialisation du pouvoir. Et à tous ceux qui, aujourd’hui, à l’image de l’Union africaine, condamnent ce coup de force (souvent plus pour le principe que par sincérité), on pose la question suivante : qu’avez-vous fait pour arrêter les dérives de l’autocrate nonagénaire ? Que dites-vous quand ils tripatouillent les Constitutions pour s’éterniser au pouvoir ou lorsqu’ils positionnent rejetons, frangins ou pépés pour hériter de l’affaire dans la plus pure tradition dynastique ? Et le journal d'en conclure. Mugabe n’a eu que ce qu’il mérite. Le Zimbabwe libéré de Mugabe, titre également ce matin DIE TAGESZEITUNG. Bien sûr, de nombreuses incertitudes planent toujours. Mais si les soldats devaient terminer leur manœuvre en consommant courageusement ce putsch, il faut espérer que ce soit l’occasion pour une refondation de la démocratie zimbabwéenne, qui n’a jamais existé que de nom.

Un nouvel épisode, à présent, du conflit entre Moscou et Washington, lié aux accusations d’ingérence russe dans la présidentielle américaine. Hier, les députés russes ont adopté dans l’urgence un amendement pour modifier la loi sur «les agents de l'étranger» et l'appliquer aux médias. Cette loi, ouvertement calquée sur le modèle américain MOSKOVSKI KOMSOMOLETS repéré par le Courrier International, oblige toute société représentant un pays de l'étranger à rendre régulièrement des comptes aux autorités du pays qui l'accueille, sous peine de voir ses comptes gelés. Jusqu'à présent, elle ne s’appliquait qu’aux ONG. Mais désormais les médias étrangers reconnus comme «agents» devront donc, eux aussi, s’enregistrer comme tels. Officiellement, il s'agirait pour le Kremlin d'une mesure de rétorsion pour la sanction administrative infligée par Washington à sa chaîne anglophone Russia Today. Sauf qu'il ne pourrait s'agir là que d'un prétexte. Un influent sénateur russe a en effet réussi à élargir le champ d’action de la loi en menaçant également des médias nationaux, défendant des valeurs démocratiques, comme la radio Echo de Moscou ou la chaîne câblée Dojd. Preuve, écrit LE TEMPS, qu'à travers cette loi, Vladimir Poutine (qui se prépare à être réélu pour un quatrième mandat) poursuit, en réalité, ses efforts visant au contrôle du paysage médiatique russe.

Enfin s'agissant toujours, ce matin, de schizophrénie politique, voilà que le gouvernement espagnol affirme, lui, que la crise catalane aurait été envenimée par le concours de «fake news» provenant de Russie et du Venezuela. Cette campagne sur la Toile aurait, selon Madrid, alimenté une propagande pro-séparatiste. De son côté, le journal suisse DER BUND pointe que pour le gouvernement espagnol l'affaire tombe à pic et lui permet surtout de masquer ses propres manquements. En clair, Madrid va un peu vite en besogne quand elle fait de l'ingérence du Kremlin un important facteur d'escalade. Car l'Espagne, dit-il, est la seule responsable de l'émergence de ce conflit.

Par Thomas CLUZEL