So long Leonard

Le chanteur canadien Leonard Cohen
Le chanteur canadien Leonard Cohen - Kobal / The Picture Desk
Le chanteur canadien Leonard Cohen - Kobal / The Picture Desk
Le chanteur canadien Leonard Cohen - Kobal / The Picture Desk
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Chaque matin, l’actualité vue au travers de la presse étrangère. Aujourd’hui : Leonard Cohen, l'homme de lettres du rock, dont les chansons entremêlent imagerie religieuse, thème de la rédemption et désir sexuel est mort, à l'âge de 82 ans.

"Plus noir : Leonard Cohen est mort", notre page hommage au chanteur et poète

Le dernier prix Nobel de littérature, Bob Dylan, avait dit des chansons de Leonard Cohen qu'elles étaient toutes des prières. Et il ne se trompait pas. C'était encore plus évident dans son dernier album, « You Want It Darker », où toutes ses compositions sont autant de chants inspirés de la liturgie juive que de l’exégèse biblique.

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MUSIQUE (« YOU WANT IT DARKER »)

La voix profonde, sépulcrale, crépusculaire de Leonard Cohen, le Patriarche, y est ourlée comme les franges d'un talit sur lequel se serait posées les mains d'un Dieu aimant. Son chant, écrit le magazine SLATE, égrène une à une des paroles qui sonnent, semblables à des versets antiques et où coulent le lait et le miel d'une musique dédiée, encore et toujours, à la femme.

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« I'm ready, my Lord ». Dans son dernier album, de sa voix encore plus grave, des octaves d’outre-tombe presque déjà d’un autre monde, Leonard Cohen se préparait donc, encore une fois, au trépas. Mais si, dans un récent portrait au NEW YORKER, le poète errant à la santé déclinante qui avait fait de ses jours comptés un mantra testamentaire se disait «prêt à mourir», sa vitalité artistique, elle, était restée la même. En asseyant des tonalités ténébreuses plus que jamais bien assorties aux allures de croque-mort chic de son auteur, le visage émacié, le dernier album de Leonard Cohen (le 14ème d'une longue carrière) ne faisait, en réalité, que mettre en évidence les ors d’une écriture aussi crue que pessimiste depuis 1967. Il avait alors 33 ans, cinq livres derrière lui et un premier album. Soit, écrit LE TEMPS de Lausanne, un corpus poétique qui aurait pu, sans doute, un jour prétendre, lui aussi, à un Nobel de littérature, comme son ami de cinquante ans Dylan, qui le vénérait tant et qui lui avait un jour confié : « En ce qui me concerne, Leonard, tu es le numéro un. Et je suis le numéro zéro. » « A l’époque, j’avais interprété cela (et je n’allais pas le contredire) comme une façon de me dire que son travail était au-delà de toute évaluation, et que le mien était assez bon », confiait-il le mois dernier au NEW YORKER.

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En réalité, l’amitié et l’admiration des deux hommes étaient réciproques, comme le prouvent, d'ailleurs, à nouveau les réponses de Dylan aux questions du magazine américain, au sujet de l’œuvre de son aîné de sept ans. « Ce sont toutes de grandes chansons. Profondes, authentiques, multidimensionnelles, étonnamment mélodiques, et qui vous font penser et réfléchir ». Et de fait, dans ses chansons, Leonard Cohen savait élever son esprit imperturbable à une hauteur aussi rare que précieuse.

Salué tant pour son intelligence que son humilité, écrit ce matin THE NATIONAL POST, Leonard Cohen étudiaient, sans relâche (dans ses paroles comme dans ses textes) la spiritualité, le sexe, le pouvoir et l'amour. Sans guimauve, ni refrains faciles pour des radios aseptisées, remarque LE JOURNAL DE MONTREAL. C’était du crack pour l’âme, du venin pur jus, de la poésie dure, à mi-chemin entre la zénitude d’un monastère bouddhiste et le glauque d’un bar qui ferme à trois heures du matin.

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Et plus que tout, si sa voix était d'une profondeur un brin terrifiante, elle portait un halo de lumière. «Sonnez les cloches qui peuvent encore sonner. Oubliez vos offrandes parfaites. Il y a une fissure en toute chose. C’est ainsi qu’entre la lumière.» Ce refrain, écrit à nouveau le magazine SLATE (dans un article intitulé "Cohen le plus grand parolier du monde"), énonce une forme de vérité pour le moins difficile à trouver dans les chansons populaires. Des mots à graver non pas sur un mur, mais sur votre âme.

L'été dernier, Leonard Cohen avait écrit une lettre d’adieu à son amante et sa muse, Marianne, celle qui avait inspiré la chanson « So long Marianne » mais aussi « Bird on a wire » et dont le chanteur avait appris qu'elle était mourante. Dans sa lettre, Cohen avait écrit ces mots : « Nous sommes arrivés au point où nous sommes si vieux, nos corps tombent en lambeaux, et je pense que je te rejoindrai bientôt. Sache que je suis si près derrière toi, que si tu tends la main, tu peux atteindre la mienne. Tu sais que j’ai toujours aimé ta beauté et ta sagesse, et je n’ai pas besoin d’en dire plus parce que tu sais tout cela. Je veux seulement te souhaiter un très beau voyage. Au revoir, ma vieille amie, mon amour éternel. Rendez-vous au bout du chemin. » Quand on lui a lu la lettre, à haute voix, Marianne a souri, comme elle seule le pouvait. Et puis elle a levé la main, avant de s'envoler deux jours plus tard. Cette nuit, les basses vibrations de la voix unique, imposante et noble du poète canadien se sont tues. Et c'est à nous qu'il revient, désormais, de « laver nos paupières dans la pluie ». So long, Leonard.

MUSIQUE (« SO LONG MARIANNE »)

Par Thomas CLUZEL