Chaque matin, l’actualité vue au travers de la presse étrangère. Aujourd’hui : une centaine d'agressions sexuelles commises la nuit de la Saint-Sylvestre à Cologne et attribuées à des "jeunes apparemment d'origine arabe", selon la police, ont scandalisé l'Allemagne, dont le gouvernement a condamné les violences tout en s'inquiétant d'une stigmatisation des réfugiés.
Lorsque qu'Anna est descendue du train, ce 31 décembre, elle a pris peur : «Sur le parvis de la cathédrale, devant la gare de Cologne, la place était pleine, presque que des hommes et des femmes apeurées que tous dévisageaient. J’avais l’impression d’être au marché aux bestiaux, dit-elle. Presque aussitôt, j’ai senti une première main sur mon jean. Je me suis accrochée à mon ami et nous avons pris la fuite». «Nous nous apprêtions à partir et c'est là qu'un groupe d'une dizaine, vingtaine, trentaine peut-être de jeunes hommes étrangers s'en est pris à nous», raconte une autre victime sur le plateau de la chaîne télévisée d'info continue N-TV. «Ils se sont mis à nous agresser, nous prenant l'entre-jambe et touchant nos décolletés».
Dans la nuit du réveillon, des scènes inédites de harcèlement se sont ainsi répétées une centaine de fois. Etrangement, le lendemain 1er janvier, et malgré le caractère exceptionnel et gravissime de ces agressions de masse, on pouvait lire sur le site de la police de Cologne que la nuit de la Saint-Sylvestre s’était déroulée «calmement», «comme l’an passé», fait remarquer le quotidien DIE WELT. Et ce n'est que lundi, trois jours autrement dit après les faits, que la police a finalement consenti à organiser une conférence de presse, au sujet de cette vague d’agressions.
D’après les témoignages recueillis, environ un millier d’hommes, qui d’après leur apparence physique seraient originaires des pays arabes ou d’Afrique du Nord ont lancé des pétards et des feux d’artifice sur la foule et attaqué en groupe des dizaines de femmes, touchant leur poitrine ou leurs parties génitales, tout en subtilisant leurs téléphones, leurs portefeuilles et autres objets de valeur, peut-on lire dans les colonnes de la SÜDDEUTSCHE ZEITUNG. Une femme s’est même fait arracher ses sous-vêtements et au moins une plainte pour viol a été déposée, précise à son tour son confrère DIE ZEIT. Au total, plus de quatre-vingt-dix plaintes ont ainsi été déposées auprès de la police, parmi lesquelles au moins une quinzaine pour agression sexuelle. Une vidéo amateur tournée sur les lieux, alors en plein chaos, où ont eu lieu ces agressions a d'ailleurs été diffusée sur le site de l'hebdomadaire FOCUS. Et puis, un scénario similaire a également été observé à Stuttgart et à Hambourg, rapporte le magazine SLATE, où plusieurs jeunes femmes ont été victimes d’attouchements sexuels.
Une affaire qui provoque l'émoi en Allemagne et plus encore dans le contexte actuel.
Dans un pays où l'afflux de réfugiés a parfois suscité de vives tensions ces derniers mois, les autorités, sans vouloir minimiser l'importance de ces évènements «intolérables» selon l'expression de la maire de Cologne, cherchent à présent à éviter toute stigmatisation. Le ministre de la Justice a notamment mis en garde contre toute «instrumentalisation» de ces agressions, dans le débat houleux sur l'afflux record de migrants en Allemagne. L'apparence des agresseurs «ne doit pas conduire à faire peser une suspicion générale sur les réfugiés», l'a rejoint le ministre de l'Intérieur. La ministre de la Famille a également tenue à souligner que, «dans cet État de droit, les coupables et les crimes font l’objet d’une enquête et sont jugés indépendamment de leur religion et de leurs origines». Et d’ailleurs, comme le rappelle DER SPIEGEL, rien ne prouve encore que ces hommes sont des réfugiés.
Sauf que d'autres ne se sont pas fait prier pour utiliser l'évènement. C'est le cas, évidemment, du mouvement islamophobe Pegida. De son côté, la patronne du parti populiste d’extrême droite AfD, qui progresse dans les sondages, a aussitôt lancé à l'adresse de la chancelière : «l'Allemagne est-elle suffisamment multicolore pour vous» ? Au sein même de la coalition gouvernementale, précise lui LE TEMPS de Genève, les conservateurs bavarois de la CSU, qui tempêtent depuis des mois contre la politique favorable aux réfugiés de la chancelière, ont eux aussi trouvé là la matière à alimenter leurs griefs : «Si des demandeurs d'asile ou des réfugiés se livrent à de telles agressions, il s'agit d'une éclatante trahison des valeurs de l'hospitalité et cela doit conduire à la fin immédiate de leur séjour en Allemagne», a notamment déclaré le secrétaire général du parti au quotidien local RHEINISCHER POST. Enfin nombre de commentateurs dans la presse, tout en prenant soin évidemment de ne jamais véritablement les citer, semblent également associer ces agressions à la vague de demandeurs d’asile entrés en Allemagne depuis la fin du mois d’août.
Quoi qu'il en soit, alors que de plus en plus d’Allemands s’inquiètent, en effet, de l’arrivée massive de réfugiés en provenance de Syrie, d’Irak et du Pakistan, ces agressions de la St Sylvestre provoquent aujourd'hui un vif malaise dans le pays. L’Allemagne, rappelle toujours le quotidien helvétique, a accueilli un million de demandeurs d’asile en 2015. Or la politique de la porte ouverte aux Syriens décrétée par Angela Merkel début septembre se heurte désormais à de vives résistances.
Pour l'heure, la police n'a fait état d'aucune arrestation spécifiquement liée aux incidents. En revanche, un renforcement des effectifs des forces de l'ordre ainsi que de la vidéosurveillance a d’ores et déjà été annoncé par le président de la police de Cologne, qui se prépare à accueillir du 4 au 10 février prochain des centaines de milliers de fêtards pour le carnaval, l'évènement emblématique de cette ville. Enfin preuve de l'envergure que prend aujourd'hui cette affaire, hier après-midi, une chaîne de la télévision publique allemande s'est sentie obligée de s'excuser auprès des téléspectateurs de ne pas avoir abordé le sujet dès lundi soir.
Par Thomas CLUZEL
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