

Chaque matin, l’actualité vue au travers de la presse étrangère. Aujourd’hui : l'ancien maire conservateur de Londres, Boris Johnson, a dépassé les bornes aux yeux du camp "anti-Brexit" en affirmant que l'UE se comportait comme Adolf Hitler en essayant de créer un super-Etat.
A lire l'entretien accordé, hier, au SUNDAY TELEGRAPH par Boris Johnson, on se dit que la campagne du vote sur le "Brexit", en juin, ne s'annonce décidément pas franchement sereine. L'ancien maire conservateur de Londres et chef de file aujourd'hui du camp "pro-Brexit" a évoqué le Reich comme esquisse d’un «super-Etat européen», ce que voudrait, selon lui, faire l’Union Européenne. «L'histoire de l'Europe a été marquée depuis 2000 ans par des tentatives répétées de rassembler le continent sous un seul et unique gouvernement, comme pour imiter l'Empire romain. Napoléon, Hitler et d'autres ont essayé de le faire, et cela s'est terminé de manière tragique». Et toujours selon Boris Johnson, «l'Union européenne serait une autre tentative de créer un super Etat avec des méthodes différentes».
Des propos aussitôt dénoncés par plusieurs responsables et députés du parti travailliste d'opposition. «Boris a touché une nouvelle fois le fond», a notamment indiqué une députée travailliste sur Twitter. Le porte-parole pour les questions de politique étrangère du Labour et partisan d'un maintien dans l'UE, a lui rappelé qu' «après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, l'UE a aidé à mettre un terme à des siècles de conflits en Europe». Avant d'ajouter, «les militants en faveur d'une sortie de l'UE ont perdu l'argument économique et voilà maintenant qu'ils perdent leur sens moral». Enfin une autre figure du Labour, également opposée à tout "Brexit", a estimé que l'ancien maire de Londres jouait à « un sale jeu». «Plus il s'agite avec ce genre de déclaration hystérique, plus il montre son manque honteux de jugement, son empressement à jouer les hommes politiques les plus cyniques et clivant ainsi que le vide de ses arguments». D'où cet édito à lire dans les colonnes du GUARDIAN : ces propos placent Boris Johnson dans la même catégorie que Donald Trump, un autre escroc intellectuel de l'élite métropolitaine, actuellement très occupé à essayer de tromper les pauvres gens pour en tirer un avantage carriériste. A l'inverse, Boris Johnson a aussitôt reçu, hier, le soutien de Nigel Farage, le chef du parti europhobe et anti-immigration UKIP, qui a affirmé qu'il le soutiendrait pour succéder à David Cameron en tant que Premier ministre.
Reste à voir si ce genre de déclarations peut avoir un effet sur les intentions de vote, alors que les deux camps sont à égalité dans les sondages, à 50% chacun, du moins à en croire le site internet de l'institut WHAT UK THINKS, qui fait la moyenne des six dernières enquêtes d'opinion. Ça n'est pas, en revanche, ce que laisse entendre le dernier sondage réalisé pour THE SUNDAY MIRROR et THE INDEPENDENT : 45% des personnes interrogées y déclarent qu'elles font davantage confiance à Boris Johnson qu'à David Cameron sur les questions touchant à l'Europe, contre 21% qui disent l'inverse.
Quoi qu'il en soit, cette dernière déclaration controversée de l'ancien maire de Londres prouve, une nouvelle fois, que les eurosceptiques ont porté le débat à un niveau émotionnel. Et le problème, écrit la SÜDDEUTSCHE ZEITUNG, c'est qu'ils ont réussi à amener les pro-UE à croire qu’ils devaient, à leur tour, répondre à l’émotion par des émotions. A présent, la figure de style préférée est une sorte d'exagération débridée. Ainsi, quand les pro-UE font valoir qu’en cas de sortie de l’Union, tous les ménages britanniques perdraient des milliers de livres chaque année, les eurosceptiques, eux, mettent en garde contre une immigration de masse incontrôlable, qui soufflerait leur emploi à de respectables citoyens. En clair, poursuit le journal, que l’on écoute un bord ou l’autre, en tout état de cause, la Grande-Bretagne serait ni plus moins qu'au bord de la ruine ou du chaos.
Pour son confrère de LA STAMPA, il n'y aurait rien d'étonnant à ce que le débat ait aujourd'hui une teneur, essentiellement, émotionnelle. Si la question de l’Europe déchaîne les passions en Grande-Bretagne, ceci n’a rien de nouveau. Et pourquoi ? Parce que le pays est nostalgique de son passé impérial et reste incertain de son appartenance géographique et culturelle à l’Europe. L’histoire contemporaine de nombreux autres pays européens, avant leur adhésion à l'UE, a été une succession de dictatures, de bains de sang, d’aventures coloniales et de deux guerres mondiales très dures. Or le Royaume-Uni a lui une histoire alternative, du moins en théorie : un grand empire qui reste ancré aujourd'hui dans la mémoire collective, par le biais des institutions du Commonwealth. Pendant des siècles, le Royaume-Uni a vécu dans un splendide isolement, protégé par sa marine et son empire. Or cet isolement est désormais révolu. Sauf qu'il en est resté quelque chose dans la psyché des Britanniques, qui refusent d'avoir des liens trop étroits avec l’Europe.
Une autre information est venue bouleverser, ce week-end, la campagne sur le "Brexit"
2,4 millions d’immigrés européens sont venus en Grande-Bretagne au cours des dernières années. Or c’est plus du double de ce que le gouvernement avait fait miroiter aux électeurs. Jusqu'à présent, le chiffre officiel était de 900 000. Du coup, la presse conservatrice crie au scandale. THE DAILY MAIL estime que le gouvernement a essayé d’étouffer le véritable poids que représentent les migrants pour la société. Le tabloïd, "pro-Brexit", a calculé qu'un migrant est venu l'an dernier en Grande-Bretagne toutes les quarante secondes. De son côté, THE DAILY EXPRESS, tout en évoquant ce million et demi de migrants cachés, salue le fait qu’on ait enfin jeté la lumière sur le véritable volume de l’immigration et estime qu’en vue du référendum, sortir de l’UE est aujourd'hui le seul moyen de contrôler les frontières du pays. Quant au TELEGRAPH, il estime que le gouvernement britannique devrait s’excuser auprès de la population, qui subit les conséquences néfastes d’une immigration sans limites : des excuses pour chaque parent qui ne trouve pas de place à l’école pour son enfant ; des excuses pour chaque plâtrier qui estime que son salaire a baissé à cause d’Européens de l’Est ; des excuses pour tous ceux qu’on a traités de ‘racistes’ pour avoir cherché à savoir pourquoi ils n’arrivent pas à obtenir de logement ; des excuses enfin pour toutes les femmes prêtes à accoucher et qui se voient refuser l’accès à leur maternité car elle est complète.
Bref, un nouveau chiffre bien embarrassant pour le gouvernement de David Cameron, qui espère que les électeurs voteront pour le maintien du pays dans l’Union européenne lors du référendum du 23 juin. Et la preuve, surtout, que la campagne du vote sur le "Brexit" est bien loin de refléter le traditionnel flegme britannique.
Par Thomas CLUZEL
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