Par Marine de La Moissonnière La chaîne de télévision vénézuélienne Globovisión, qui existe depuis 1994, a perdu en quelques jours ses meilleurs journalistes. Ils ont été renvoyés ou sont partis d'eux-mêmes. "Les démissions pleuvent à Globovision ", titre le quotidien venezuélien El Universal. Et la raison de ces départs en cascade, c'est Infobae qui la donne sans détours : c'est "la censure chaviste ", écrit le quotidien argentin. Alors il y a d'abord eu la fin imposée de l'émission "Radar de los barrios " ( "Radar des quartiers") de Jesus Torrealba. Puis le départ de Leopoldo Castillo, vendredi, présentateur vedette de l'émission "Aló Ciudadano " pendant 12 ans. Trois heures d'émission du lundi au vendredi, au cours de laquelle les Vénézuéliens appelaient pour dénoncer leurs problèmes, raconte La Nación. Des adieux plein d'émotion lors de la dernière. Sur la musique de "My way", cravate mauve, chemise bleu pâle, bretelles beiges, Leopoldo Castillo s'est dit heureux d'avoir lutté contre les "abus du gouvernement ". "Vous avez le droit de vous exprimer ", a-t-il lancé à son public. Le même jour, juste après l'émission de Castillo, les présentateurs des journaux du soir, Roman Lozinski et Sasha Ackerman ne se sont pas présentés à l'antenne.Enfin Roberto Giusti, figure emblématique de la chaîne, et d'autres - au total une petite dizaine de journaliste et présentateurs d'émissions d'analyses et de magazines - ont également jeté l'éponge depuis le début de la semaine. Lettres de démission envoyées via twitter pour la plupart. Mais aussi un communiqué, repris par le quotidien espagnol ABC, pour dire que "Globovisión est condamnée d'un point moral, éthique et journalistique ". La liste des démissionnaires pourrait encore s'allonger, prévient El Universal . Des journalistes qui sont actuellement en vacances, attendent d'avoir repris le travail pour se décider. Que va-t-il se passer maintenant pour la chaîne ? "Globovisión promet d'être impartiale ", titre El Tiempo. Mais comme l'explique La Nación, "la fin de l'émission la plus critique [à l'égard du gouvernement] accentue les doutes sur un changement de ligne éditoriale [de la chaîne] suite à sa vente à des hommes d'affaires liés au gouvernement en mai dernier. " Avant, Globovisión appartenait à "la famille Zuloaga fervente opposante au chavisme, ce qui lui a valu de très nombreuses sanctions et des plaintes de la part du gouvernement ", raconte** La Nación** . Et "pour les 500 employés de la chaîne, Castillo était la garantie d'une transition sans remous ", explique le quotidien de Buenos Aires.
Sans remous, mais pas sans changements. Dès l'arrivée des nouveaux directeurs de la chaîne, raconte toujours La Nación , Globovisión a cessé d'être le média le plus critique à l'égard du gouvernement, la "seule fenêtre pour l'opposition ". La chaîne a arrêté "de retransmettre en direct les interventions du leader de l'opposition Henrique Capriles et les plus hautes autorités du chavisme ont commencé à défiler à l'antenne, chose inédite depuis plus de 10 ans. " La reprise en main avait donc commencé avant le départ de Leopoldo Castillo. Ce changement de ligne éditoriale, Roberto Giusti la décrit dans El Universal. Il raconte comment les nouveaux responsables de la télévision l'ont convaincu de rester en mai. "On te demande juste d'être équilibré ", lui ont-ils affirmé. Parfait, s'est alors dit le journaliste ravi de pouvoir à nouveau recevoir sur le plateau de son émission des chavistes qui jusqu'à présent boycottaient Globovisión et refusaient nos invitations, écrit encore Roberto Giusti. Oui, mais voilà, très vite il se rend compte que la censure est à l'oeuvre. Emission déprogrammées au dernier moment, invités interdits de plateau, conseils de la direction sur les questions à poser - ou à ne pas poser - le ton à adopter, décrit El País. Et "face à la censure, on ne peut pas rester spectateur ", tranche Roman Lozinski, ancien présentateur vedette du 20hrs, dans une tribune publiée par El Universal. Et d'ajouter : "Le gouvernement a peur de la vérité, de la dissidence, de ceux qui pense différemment. Le gouvernement a peur du journalisme sérieux. " Une opinion partagée par Oscar Lucien, sociologue de l'Institut de recherches en communication de l'Université centrale du Venezuela, cité dans les colonnes d'El Universal . "Il n'y a aucune sorte d'équilibre, ni de respect de la diversité politique ou du pluralisme pourtant inscrit dans la Constitution ", estime le chercheur. On assiste à "une confiscation de la liberté d'expression ". Alors est-ce la fin du journalisme sérieux au Venezuela ? C'est en tout cas un gros coup qui lui est porté. Mais Oscar Lucien, toujours dans El Universal , se veut rassurant. Il reste, dit-il, les médias alternatifs. Dans le passé, il y avait les tracts et les manifestations dans les rues. Aujourd'hui, il y a les nouvelles technologies qui permettent d'écouter la radio ou de regarder la télévision sur internet. Des médias qui ne respectent pas la ligne éditoriale imposée par le gouvernement. Et d'ailleurs, précise le chercheur, l'émission de Jesus Torrealba est déjà à écouter sur internet. Et de conclure : "Aujourd'hui, la communication n'est plus entre les mains des grands médias ou de l'Etat autoritaire, mais elle dépend de n'importe quelle personne capable de transmettre son opinion à travers les médias numériques." Ensuite, ce qui compte, c'est la qualité des informations transmises, des articles et des émissions, juge le chercheur.En attendant, certains critiquent le départ des journalistes de Globovisión, explique El País , car ils estiment que c'est céder du terrain au gouvernement. Réponse de Roman Lozinski, selon le quotidien espagnol : comment défendre ma parcelle quand tout autour de moi est une un terre stérile, allusion à la main mise du gouvernement sur Globovisión. Dans une tribune publiée par El Universal , il demande toutefois que l'on respecte les journalistes qui ont choisi de rester : "Chacun, là où il se trouve, est un petit mur de contention", écrit le journaliste.
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