Vers une cessation des hostilités en Syrie ?

John Kerry (d) et Sergei Lavrov (g).
John Kerry (d) et Sergei Lavrov (g). - Michael Dalder
John Kerry (d) et Sergei Lavrov (g). - Michael Dalder
John Kerry (d) et Sergei Lavrov (g). - Michael Dalder
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Chaque matin, l’actualité vue au travers de la presse étrangère. Aujourd’hui : les grandes puissances internationales se sont mises d'accord sur une cessation des hostilités en Syrie d'ici une semaine et sur le rapide acheminement d'une aide humanitaire aux personnes prises au piège par le conflit.

Le titre est à la Une ce matin sur le site du WASHINGTON POST : les Etats-Unis et la Russie sont tombés d'accord sur une "cessation des hostilités" en Syrie. Plus exactement, les deux pays se sont engagés à convaincre leurs principaux alliés sur le terrain, essentiellement l'opposition dite modérée d'un côté et les forces loyales au régime de Damas de l'autre, de cesser les combats sur l'ensemble du territoire dans un délai d'une semaine.

Cela ne veut pas dire que la guerre s'arrêtera pour autant en Syrie.

Tout d’abord, l'arrêt des hostilités concernera toutes les parties au conflit à l'exception des groupes terroristes Daech et Al-Nosra. Ensuite et pour nuancer l'accord intervenu hier soir, il convient de rappeler écrit le quotidien pan-arabe AL-HAYAT, qu'initialement, la réunion d'hier était censée se dérouler en même temps que les pourparlers de paix sur la Syrie. En clair, elle devait théoriquement donner un dernier coup de pouce aux interlocuteurs de Genève, afin qu’ils finissent de s’entendre sur une pacification progressive du pays. Or les négociations inter-syriennes entre le régime et l’opposition parrainées par les Nations unies ayant été suspendues il y a moins de deux semaines, la réunion de Munich s'est transformée en une session d'urgence pour remettre le processus sur les rails.

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Enfin dernière raison qui doit nous conduire à relativiser cet accord, pour être appliqué, il suppose la bonne volonté et la détermination de toutes les parties concernées, précise à nouveau THE WASHINGTON POST. Ou dit autrement, il est prévu mais en aucun cas garanti que les signataires de cet accord pourront persuader leurs mandataires et leurs alliés sur le terrain, y compris Assad et les centaines de groupes d'opposition en lutte contre lui, d'en respecter les modalités. John Kerry lui-même, d’ailleurs, a prévenu : "ce que nous avons ici sont des mots sur le papier et ce que nous devons voir dans les prochains jours sont des actions sur le terrain". Et le problème, précise LE TEMPS de Lausanne, c'est qu'on recense aujourd'hui plus de 170 groupes armés différents en Syrie, autant alliés que concurrents. Dès-lors, comment peut-on imaginer, dans ces conditions, se mettre d’accord ?

Comment et pourquoi Américains et Russes ont-ils réussit, hier, à se mettre d'accord ?

Depuis que la Russie a utilisé les négociations de Genève comme un écran de fumée pour camoufler ses volontés réelles, tout a changé en Syrie, ou presque. Les tapis de bombes russes ont été savamment coordonnés avec une avancée de l’armée syrienne. Résultat de cette progression fulgurante : une rébellion en déroute, des forces pro-régime pratiquement à la frontière avec la Turquie et des centaines de morts et des dizaines de milliers de civils fuyant les combats.

En clair, si les Russes sont aujourd'hui plus disposés à un début de cessez-le-feu, c'est que les frappes aériennes mais aussi les opérations terrestres iraniennes ont atteint leur objectif, analyse THE WASHINGTON POST : permettre au régime de Bachar el-Assad de reprendre le contrôle sur une grande partie du pays. Et ce faisant, renchérit LE TEMPS, Moscou a réussi à réduire drastiquement les options disponibles pour ses rivaux (la Turquie et les États-Unis) et ce alors même le Kremlin n'a nullement manifesté son intérêt à voir le président Bachar el-Assad quitter la scène politique, Moscou favorisant au contraire une victoire militaire de ce dernier.

En réalité, l’objectif de Moscou, précise à nouveau le quotidien Al-HAYAT cité par le Courrier International, est d’aboutir à une solution militairement imposée et non pas négociée. Une position qui semble, malgré les apparences, convenir à Washington qui a abandonné la résistance syrienne à son triste sort depuis belle lurette. Le président Obama a toujours écarté l’idée d’une aide militaire massive à l’opposition et un retournement de l’administration américaine est aujourd’hui peu vraisemblable.

Les États-Unis, la Russie et leurs principaux alliés ont décidé un accès accru et immédiat de l'aide humanitaire aux civils en détresse.

Sur le terrain la situation est, chaque jour, plus dramatique. Il suffit pour s'en convaincre de lire cet article du TEMPS, intitulé : « dans Madaya assiégée les habitants recommencent à manger de l’herbe ». Par ailleurs, quelques chiffres publiés en exclusivité par THE GUARDIAN donnent la mesure de l'ampleur du désastre. D'après un rapport du Centre syrien de recherche politiques, 470.000 personnes sont mortes directement ou indirectement à cause de la guerre. Au total, 11,5% de la population ont été tués ou blessés, soit près de 2 millions de personnes. Cela correspond aux États-Unis à la population de 15 États dont THE HUFFINGTON POST dresse la liste.

L’espérance de vie est passée de 70 ans, en 2010, à 55 ans en 2015. Et puis d'autres statistiques, encore, rendent compte du chaos auquel est confronté le pays. En cinq ans, la Syrie a perdu 21% de sa population, partie en grande partie vers la Turquie et l'Europe. Au total, 45% des Syriens ont quitté leur foyer que ce soit pour aller ailleurs dans le pays ou à l'étranger.

L'accord d'hier peut-il donner aux syriens des raisons d'espérer ? La conclusion du TEMPS n'est pas franchement de nature à rassurer ce matin : il y est écrit qu'on ne négocie pas aujourd'hui la paix en Syrie, mais la géopolitique de la région. En clair, la paix n’est ni l’enjeu, ni véritablement à l’ordre du jour.

Par Thomas CLUZEL