Robert Badinter 2/15 : "Nous vivions à cette époque-là dans la nuit"

Robert Badinter le 19 avril 2018.
Robert Badinter le 19 avril 2018. ©AFP - Joël Saget
Robert Badinter le 19 avril 2018. ©AFP - Joël Saget
Robert Badinter le 19 avril 2018. ©AFP - Joël Saget
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Deuxième temps des "Mémorables" avec Robert Badinter qui revient sur l'histoire de sa famille et surtout de son père pendant la guerre. Lui, le patriote, ne comprenait pas ce qu'il se passait en France sous le régime de Vichy, il avait perdu ses repères. Robert Badinter se souvient et raconte avec douleur la déportation et la mort de son père en 1943.

Dans ce deuxième entretien d'une série de quinze, Robert Badinter reprend le récit de l'histoire de sa famille au moment où la guerre éclate. Son père, réserviste, était persuadé que l'armée française serait "invincible". "Personne ne savait rien de ce qu'il allait advenir" mais au moment de la débâcle, il y avait le sentiment qu'il fallait fuir Paris et les Allemands. Il se souvient de ce qui est resté pour lui la vision de la défaite française, trois soldats allemands dans un side-car, riant aux éclats dans la ville de Nantes déserte. "Un rire éclatant qui s'élevait dans le silence. A partir de là, a commencé l'Occupation."

Jusqu'en décembre 1941, ils vivent dans un Paris occupé, "du temps des grands triomphes allemands et des premières mesures antisémites". Son père est allé, comme tous les Juifs, s'enregistrer auprès du commissariat du quartier, convaincu que le gouvernement français protégerait les Juifs français : "Il ne décelait pas l'avenir." Il voit son père comme "un animal pris au piège" incapable de prendre une décision. Il raconte le périple de sa famille pourchassée du fait de sa judéité, le passage en zone libre puis l'installation à Lyon dans une ambiance pétainiste, "c'était terrible cette idolâtrie que l'on entendait du matin jusqu'au soir à la radio". Le caractère grotesque et méprisable des discours de Vichy assénés à longueur de temps lui reviennent en mémoire.

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Son père, très affecté par la déportation et la mort de sa mère de 80 ans arrêtée par la police française, ne voyait plus d'issue possible : "Il avait perdu sa boussole." Pour Robert Badinter, ce "début de l'hiver 43 respirait la mort". Le 9 février 1943, son père est arrêté puis déporté le 25 mars 1943 à Sobibor où il fut gazé deux jours plus tard. Il se rappelle qu'à l'époque il n'imaginait pas ce qu'étaient les camps, "personne ne savait ni n'imaginait la réalité". L'idée même de l'extermination était impossible à concevoir. Pour ceux qui restaient en France et attendaient le retour des déportés, c'était "une immense incertitude et angoisse mais pas la conscience qu'en réalité ils étaient morts".

La Part d'enfance
50 min

Une production de Joël Calmettes, réalisée par Pierrette Perrono.

Mémorables - Robert Badinter, entretien 2/15 : Un homme perdu (Première diffusion : 05/02/2002)

Une archive France Culture/INA