Les créations de Niki de Saint Phalle oscillent entre une dimension allègre, ludique, bariolée, et une inquiétude sourde qui irrigue tout son travail. Par cette tension, l'artiste a inventé une œuvre précisément autobiographique et hautement générale à la fois, engagée et résolument antipatriarcale.
- Catherine Francblin Critique d'art et commissaire indépendante.
Jeune femme issue d'un milieu très privilégié de Neuilly-sur-Seine, Niki de Saint Phalle deviendra artiste en autodidacte, au terme d'une première vie. En effet, alors qu'elle avait été mannequin, qu'elle s'était mariée au le poète américain Harry Mathews avec qui elle avait eu des enfants, elle est atteinte par une profonde dépression, et c'est au cours de son processus de guérison qu'elle commence à peindre. À la suite de cet événement déclencheur, son œuvre dépassera rapidement la seule portée thérapeutique, mais elle restera toute sa vie emplie de références autobiographiques douloureuse, voire traumatiques, ainsi que du souci de traduire sentiments et fantasmagories en des formes concrètes, où la joie fraye toujours avec l'angoisse, le jeu avec le monstre et les couleurs vives avec la profonde noirceur.
Dans sa série Tirs, l'artiste ou des personnes qui y sont invitées percent à la carabine des doses de peinture qui se répandent sur des compositions d'objets sciemment assemblés par elle-même et préalablement peints en blanc. En proposant par ce geste de "faire saigner la peinture", Niki de Saint Phalle ne propose pas seulement d'exprimer un rapport intime à la violence ou de proposer un commentaire des violences de son temps (lequel peut être parfois précisément circonstancié, comme lorsqu'elle intitule l'une de ces œuvres Autel O.A.S. en pleine période d'exactions de l'Organisation Armée Secrète en Algérie) : en jouant sur la frontière entre performance et peinture, et en mobilisant dans ses travaux les objets manufacturés de la société de consommation en plein essor, elle rejoint par plusieurs aspects les préoccupations esthétiques du Nouveau Réalisme, mouvement né sous la désignation de Pierre Restany auquel participent Yves Klein, Arman, César ou Yves Tinguely.
La trace la plus vive laissée par Niki de Saint Phalle dans la mémoire collective réside toutefois dans ses Nanas, statues de femmes monumentales et bariolées qui figurent encore dans les rues de nombreuses villes du monde entier. À l'opposée de ses Tirs aux figures dégradées, ses Nanas consistent en des silhouettes aux couleurs chatoyantes et strictement dessinées, figées dans des poses enjouées, harmonieuses et souvent loufoques. Inspirées par des proches en qui Niki de Saint Phalle accorde sa confiance et son amitié, ainsi que par des divinités antiques ou des sculptures de Vénus préhistoriques, les Nanas composent le volet le plus radieux et apaisé de son œuvre autobiographique. Est-ce à dire qu'elle sont entièrement dénuées l'inquiétude qui irrigue le reste de son travail ? C'est la question que notre invitée du jour nous aide à éclairer.
Dans son premier polar, l'auteur Jean-Patrick Manchette dessine une scène qui fait beaucoup penser à Niki de Saint Phalle… Romain de Becdelièvre évoque cette influence dans sa Pièce jointe.
- Catherine Francblin est critique d'art, commissaire indépendante, et ancienne rédactrice en chef de la revue Art Press. Elle a consacré un ouvrage au travail du sculpteur Bernar Venet (Bernar Venet, Toute une vie pour l'art, Gallimard, 2022), et également écrit une biographie de Niki de Saint Phalle, la révolte à l'œuvre, parue en 2013 chez Hazan.
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