





À propos de la série
En 1890, Anton Tchekhov a 30 ans. Il a déjà connu le succès au théâtre et ses récits sont lus dans toute la Russie. Pourtant, sa vie l’ennuie, et il éprouve un besoin de changer d’horizon : partir en Sibérie pour regarder la souffrance, celle des forçats de l’île de Sakhaline, dans le Pacifique.
Le 11 juillet, Tchekhov, qui s’est baigné dans l’Amour, débarque au poste d’Alexandrovsk, après avoir franchi la manche de Tatarie et laissé derrière lui l’impitoyable "trakt" sibérien, la Vladimirka de sinistre réputation, où ont été jetés depuis l’institution du bagne par Pierre le Grand en 1722 des milliers de condamnés que la Russie relègue aux confins de l’empire : cinquante jours de cahots et de boue, de terres gelées et de rivières en crue, onze mille verstes, douze mille kilomètres, bientôt la poussière et une chaleur soudaine, suffocante, les moustiques, la taïga qui n’en finit pas, et toujours les punaises, l’invincible ennemi qui attend le voyageur éreinté aux relais de poste. L’écrivain va séjourner "trois mois et deux jours" sur cette langue de terre désolée qui fait deux fois la superficie de la Grèce. "J’ai tout vu à Sakhaline, sauf une exécution capitale", avertit Tchekhov dans une lettre aux siens : la prison qui avilit les hommes, les peines corporelles, la faim, les conditions de vie dégradantes des femmes, la prostitution, l’enfance abandonnée, souillée. Il remplit dix mille fiches, conservées aujourd’hui à la bibliothèque Lénine de Moscou, et fait œuvre de science, tour à tour sociologue, historien, géographe, ethnologue, médecin. Au retour, il lui faudra trois ans pour dépeindre l’odieuse réalité qu’il a rencontrée, "un véritable enfer". L’île de Sakhaline est une œuvre unique dans sa production littéraire et elle a déconcerté bien des lecteurs. En dressant ce rapport objectif et dépouillé, Tchekhov prend pourtant place dans le bouleversant cortège de la littérature concentrationnaire russe, des Souvenirs de la maison des morts de Dostoïevski aux Récits de la Kolyma de Varlam Chalamov, en passant par Soljenitsyne ou Vassili Grossman. De son stupéfiant voyage à travers l’immense empire russe, Tchekhov fait aussi, dans ses lettres et ses Notes de Sibérie qu’il rédige à l’intention de son éditeur, un récit souvent amusé. Lui qui a déjà craché onze fois le sang s’étonne d’endurer si bien les épreuves, s’émerveille des beautés de la nature et des mille paysages de la Sibérie dont nul ne sait dire où elle prend fin, "prose" jusqu’au Baïkal, «poésie" au-delà. Surtout, il y pratique un art impeccable de la description et du portrait, un toucher délicat, sans égal, qu’il déploie partout avec empathie et retenue. "Humilité, tendresse encore et autodérision chez Tchekhov, l’anti-Poutine absolu", nous rappelait Danièle Sallenave dans une récente tribune au Monde. Jean Torrent
Textes choisis par Jean Torrent
Conseillère littéraire : Emmanuelle Chevrière
Réalisation : Christophe Hocké
Lus par Vladislav Galard
Avec les voix de Odja Llorca et Olga Kokorina
Violoncelle et chant : Vladislav Galard
Prise de son, montage, mixage : Bastien Varigault, Titouan Oheix
Assistante à la réalisation : Laure Chastant
Provenant de l'émission
30 minutes d’espace de création radiophonique, de grandes adaptations d’œuvres du patrimoine classique et contemporain pour mêler tous les métiers et les talents de la radio.