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- Une heure, deux heures, trois heures, la neige continue à tomber. Quatre heures, la nuit, on allume les âtres, il neige.Cinq heures.Six, sept; on allume les lampes ; il neige. Dehors, il n’y a plus ni terre ni ciel, ni village, ni montagne.24 fév. 2020
- Bergues avait disparu.On ne s'en aperçut pas tout de suite. Il était célibataire et personne ne put dire à quel moment exactement il avait manqué au monde. Il braconnait; il chassait les choses les plus invraisemblables; il aimait la nature ; il restait parfois absent une semaine.25 fév. 2020
- On avait passé novembre et décembre sans drame. Paisiblement, janvier s'aligna jour après jour, très lentement. Pendant certaines obscurités de tempête on n’osait pas respirer. On commença février.26 fév. 2020
- Les loups étaient d’abord venus trotter sans bruit autour des maisons. Ils enlevèrent une oie, démolirent un clapier, estropièrent une chèvre, reniflèrent même les talons du piéton qui portait le courrier et enfin firent un peu de musique nocturne.28 fév. 2020
- Savez-vous ce qu’elle faisait Saucisse? A l’époque du Café de la route elle avait un visage d’homme; maintenant elle avait un visage de notaire.2 mars 2020
- C’est à table que, pour la seule fois de ma vie, j’ai vu un visage souffreteux à Langlois. Et savez-vous pour quoi faire? Pour nous dire cette chose idiote : Est-ce que vous n’auriez pas besoin d’une bonne brodeuse? »3 mars 2020
- "Vous n’avez jamais eu besoin de quelqu’un qui puisse enfin vous assurer dans vos propres bottes ; et souffert d’attendre, souffert d’avoir, souffert de perdre !"4 mars 2020
- C’est deux mois après la fête à Saint Baudille, à l’automne, que Langlois commença à faire construire le Bongalove. Quand il était au chantier j’allais le voir.5 mars 2020
- Qu’on laisse un roi tout seul sans aucune satisfaction des sens, sans aucun soin dans l’esprit, sans compagnies, penser à lui tout à loisir, et l’on verra qu’un roi sans divertissement est un homme plein de misères.6 mars 2020
À propos de la série
Cela fera 50 ans cette année que Jean Giono est mort. En hommage à l’écrivain et à son œuvre, la fiction a voulu faire entendre son roman Un roi sans divertissement adapté en feuilleton radiophonique sur 10 épisodes. Par ailleurs, des lectures de quelques-unes…
Cela fera 50 ans cette année que Jean Giono est mort. En hommage à l’écrivain et à son œuvre, la fiction a voulu faire entendre son roman Un roi sans divertissement adapté en feuilleton radiophonique sur 10 épisodes. Par ailleurs, des lectures de quelques-unes de ses nouvelles ont été diffusées dans « Samedi noir » dont Prélude de Pan et Colline le 11 janvier à 21h.
On croit se connaître, on ne se connaît pas (…) On croit se connaître, puis pas du tout, je veux dire, se connaître soi-même. De quoi totalement on est capable. Voilà ce que je veux dire.
Jacquou dans une variante de _Que ma joie demeure. _
Hiver 1843. Dans un petit village du Trièves que la neige a coupé du monde, une jeune femme disparaît. On a beau fouiller les environs dès le dégel arrivé, son corps reste introuvable. L’année suivante, alors qu’un épais manteau blanc recouvre à nouveau le village, un deuxième habitant est « rayé de la surface du globe », bientôt suivi par deux autres. Qui fait disparaître ces villageois et pourquoi ? C’est ce que se demande le capitaine de gendarmerie Langlois, appelé en renfort. Des gouttes de sang sur la neige dessinent une unique piste se perdant dans le brouillard. Tandis que dans le lointain automne danse un hêtre aux feuilles rouges, que les encens consolateurs des messes de minuit montent dans la nuit désolée, Langlois s’approche du mystère, comme d’un gouffre. Une fois l’affaire criminelle résolue, ce sont ses propres ténèbres qu’il doit affronter. L’enquête policière laisse alors la place à un jeu de pistes dont Langlois est l’objet. Des indices de ses tourments intimes sont disséminés dans les témoignages allusifs, incomplets et enchâssés de ceux qui l’ont côtoyé. Jean Giono a qualifié de « plus grande malédiction de l’univers » l’ennui, dans son acception pascalienne de face-à-face impitoyable avec soi-même. En a-t-il fait l’expérience lors de son séjour en prison de 1944, deux ans avant la rédaction d’Un roi sans divertissement ? Quoi qu’il en soit, c’est à la faveur d’un moment de désœuvrement qu’en 1946 il se retranche dans sa petite ferme de la Margotte pour y rédiger en un mois et dix jours ce roman labyrinthique. Une grande lumière tempère cependant la noirceur de ce texte : ce sont les liens d’amitié, d’empathie qui unissent les personnages. On peut les voir à l’œuvre notamment dans les inlassables rondes organisées par le trio Saucisse / le procureur / Mme Tim afin de détourner Langlois de ses sombres tentations. Si leurs échanges peuvent sembler énigmatiques, c’est qu’ils communiquent par sous-entendus. Humanité consolatrice que celle de ces connaisseurs et autre amateurs d’âmes qui ne sont pas nés de la dernière pluie, savent aimer, compatir et - peut-être comme le lecteur rêvé de Giono - lire entre les lignes.
Laure Egoroff
Un roi sans divertissement et autres romans seront publiés dans la collection la pléiade chez Gallimard le 27 février