Comment comprendre la polémique autour de Bilal Hassani, qualifié pour représenter la France au prochain concours de l'Eurovision ?
- Eric Marty Écrivain et universitaire
- Nadia Tazi Philosophe
- Abdellah Taïa Écrivain et cinéaste marocain d'expression française
C'est une très belle mythologie, au sens de Roland Barthes. Les vidéos de Bilal sont extrêmement frivoles. Mais il y a une beauté en lui, il réussit à projeter des signes mixtes. Il maîtrise parfaitement les codes de sa génération. Cette histoire est très significative de notre monde. (Eric Marty)
Le 26 janvier 2019, avec un total de 200 points dont 150 du public français, alors qu'il n'est classé que cinquième du vote du jury international avec 50 points, le jeune Français Bilal Hassani, né 19 ans plus tôt à Paris dans une famille d’origine marocaine se qualifie pour représenter la France au prochain concours de l’Eurovision avec sa chanson Roi. Hassani a posté sa première vidéo sur YouTube en novembre 2015. Trois ans plus tard, il a près d'un million d’abonnés. Le clip de Roi a dépassé les 7 millions de vues en trois semaines, c’est une star, mais une star d’aujourd’hui, c’est-à-dire une star inconnue.
Menaces de mort
Sa victoire lui donne une visibilité inédite. Dès le lendemain, le 27 janvier, les associations Urgence Homophobie et Stop homophobie font état de 1500 menaces de mort et insultes postées sur Twitter en l’espace de 24h à l’encontre de Hassani. La plupart sont agrémentées de réflexions racistes ou émanent de musulmans outrés par l’allure d’un jeune homme au nom arabe affublé d’une perruque blonde et affichant des poses ouvertement lascives sur certaines vidéos. On apprend alors que Bilal Hassani a annoncé publiquement son homosexualité dès 2017, qu’il se rend chaque année aux marches des fiertés, qu’il est aussi décrit comme queer, et qu’il est victime de cyber-harcèlement depuis le mois de décembre. Pour corser le tout, l’Eurovision doit avoir lieu en mai prochain à Tel-Aviv. En septembre, une trentaine d’artistes internationaux, parmi lesquels Ken Loach et Mike Leigh, ont publié dans le Guardian une pétition en soutien au BDS, le mouvement de boycott d’Israël, appelant au boycott du concours international. On dit qu’Israël pratique le pinkwashing, en d'autres termes qu'il utilise la culture gay pour mieux dissimuler l'oppression des Palestiniens.
Le 29 janvier dernier, Hassani porte plainte contre X pour injures, provocation à la haine et menaces homophobes. Trois jours plus tard, la chaîne israélienne francophone I24 révèle d'anciens tweets publiés par le chanteur en 2014, accusant Israël de crimes contre l'humanité et prenant la défense de Dieudonné. Quelques heures plus tard, Hassani déclare ne pas être l’auteur de ces tweets et ajoute qu'il n'avait que 14 ans à l’époque. Dans la foulée surgit une vidéo datant cette fois de 2018. Se voulant une parodie comique d’une autre vidéo, celle-ci montre Hassani et deux de ses amis sur un trottoir paraissant se moquer de la France post-attentats avec des gestes ultra féminins. Presque aussitôt, le sénateur des Alpes Maritimes, Henri Leroy, demande que Bilal Hassani soit « écarté d'urgence du concours ».
Disproportion
« Lâchez-moi, a répondu Hassani dans un communiqué officiel, laissez-moi tranquille, laissez-moi vivre s’il vous plaît. (...) Je suis un être humain comme un autre, et eux me prennent pour un objet, leur punching-ball».
On en est là. Et la première chose qui frappe est la disproportion. Autrefois, on parlait de culture, les œuvres provoquant le scandale s’appelaient Lolita ou Portnoy, Ulysses ou même Deep Throat et Emmanuelle. Aujourd’hui, la seule irruption d’un queer au nom arabe dans quelque chose d’aussi kitch et insignifiant que le concours de l’Eurovision suffit à irriter les nerfs d’une société à fleur de peau. Comment est-ce possible ?
Avant même sa victoire à l'Eurovision, j'ai été fasciné par Bilal, sa manière de construire sa propre vie, de se fabriquer... Bilal est au coeur de plusieurs haines. Il n'a que 19 ans. Il n'a pas conscience de tout ce qui se joue autour de lui. Il invente un espace précieux. Peut-être même que ça peut sauver des gens. Au Maroc ou ailleurs, des lois criminalisent les transgenres. Mais le désir de liberté est plus fort que tout. Des vidéos avec des stars transgenres sont visionnées par des millions de personne. Des stars renommées s'affichent avec ces stars transgenres. Tout ça cohabite en même temps: la répression du pouvoir et des nouveaux espaces de liberté. (Abdellah Taïa)
Programmation musicale
- Bilal Hassani : « Roi »
- Kateb Amazigh : « je voudrais être un fauteuil dans un salon de coiffure pour dame »
- Caetano Veloso : « Tonada de luna llena »
L'équipe
- Production
- Réalisation
- Collaboration