Chine : la dissidence à l’âge des virus

Femme chinoise masquée passant devant le dessin du Président Xi Jinping, sur le mur de hôpital Leishenshan à Wuhan, 11 avril 2020.
Femme chinoise masquée passant devant le dessin du Président Xi Jinping, sur le mur de hôpital Leishenshan à Wuhan, 11 avril 2020. ©AFP - Noel Celis
Femme chinoise masquée passant devant le dessin du Président Xi Jinping, sur le mur de hôpital Leishenshan à Wuhan, 11 avril 2020. ©AFP - Noel Celis
Femme chinoise masquée passant devant le dessin du Président Xi Jinping, sur le mur de hôpital Leishenshan à Wuhan, 11 avril 2020. ©AFP - Noel Celis
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A l'heure où la pandémie paraît faire retour en France, la romancière chinoise Fang Fang publie “Wuhan, ville close” son témoignage sur le confinement en Chine, dans la ville d'où tout est parti.

Avec
  • Brigitte Duzan Sinologue et traductrice.
  • Yinde Zhang Professeur en littérature chinoise contemporaine
  • Sébastian Veg sinologue, directeur d’études à l’EHESS
  • Valérie Niquet Politologue, responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique

Mi-mars dernier, au tout début du confinement, Signes des Temps avait consacré une émission entière à la ville de Wuhan : la mégapole chinoise de 9 millions d’habitants d’où est partie la pandémie, ville peu connue du public et sur laquelle très peu d’information a circulé. 

Sept mois plus tard, alors que la transmission de la Covid-19 paraît connaitre un rebond en France et en Espagne, la romancière chinoise Fang Fang publie le blog d’apocalypse qu’elle a tenu chaque jour dans cette ville, pendant toute la durée du confinement.  

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Journal intime, reportage, méditation sur les pouvoirs et l’impuissance de la littérature par temps de crise inédite et de censure, Wuhan ville close est un document littéraire impressionnant qui permet de réfléchir à la manière dont le virus affecte non seulement nos vies mais le langage avec lequel nous en parlons et les circuits d’information du pouvoir. 

Au-delà du témoignage, ce livre pose aussi une question : à mi-chemin entre Orwell et Marx, la Chine post-covid tente aujourd’hui d’imposer son modèle comme la solution alternative du XXIe siècle. Ce livre qui parle de la façon dont un pays communiste gère la pandémie au détriment de ses citoyens annonce-t-il l’avenir ou bien peut-on y lire en filigrane l’échec programmé du régime chinois ? 

Usage de la censure : "le pouvoir ne pouvait pas laisser le paysage totalement blanc"

Fang Fang a été présidente de l'Association des écrivains du Hubei et bénéficie de par son statut d'une certaine liberté de parole. 

La romancière a été attaquée par les néoconservateurs et ultra-nationalistes.

Wuhan, ville close a fait l'objet d'une attaque virulente et a même été traité de : "plante vénéneuse" des termes qui rappellent les heures les plus sombres de la révolution culturelle. Yinde Zhang

Cela devient problématique quand elle touche à des questions politiques et plus particulièrement : que s'est-il passé avant le 21 janvier 2020 ? Et pourquoi les médecins et les responsables politiques n'ont pas voulu reconnaître que la transmission d'homme à homme du virus et tout ce qui s'ensuit dans la gestion de l'épidémie par le gouvernement. Sebastian Veg

C'est un positionnement qu'on retrouve dans beaucoup de régimes totalitaires ou très autoritaires. [...] On est toujours à la marge entre soit plonger dans la dissidence totale, mais être réduit au silence, censuré, emprisonné. Donc, c'est une position extrêmement dangereuse. L'exil aussi pour ceux qui décident de partir. Et puis ceux qui restent et qui doivent donc composer s'ils veulent pouvoir être entendus. Et une manière de composer, lorsqu'on remonte à la période impériale en Chine, c'est de professer : l'empereur est innocent, son entourage est coupable et encore plus les autorités locales. Et le régime actuel, qui fait partie de ces ultra-nationalistes particulièrement fermés, joue aussi de cette accusation d'autorités locales inefficaces face à un pouvoir central qui lui aurait pris conscience de ce qu'il fallait faire. Et Fang Fang, comme tout écrivain en Chine, doit s'insérer dans ces jeux complexes. Valérie Niquet

Viralité du langage contaminé

  • " Les malades se mettent à arpenter la ville en tous sens, dans le vent et la pluie, à la recherche de médicaments et d'un lieu où se faire hospitaliser parce que tous les transports publics sont à l'arrêt. [...] Dans ces temps de catastrophes, il n'y a plus ni calme ni tranquillité. Il n'y a que la mort à regret des malades, il n'y a que le chagrin viscéral des familles meurtries par le deuil et les vivants êtres vers la mort, qui n'ont d'autre choix que d'aller de l'avant. " Wuhan, ville close de Fang Fang

Ce journal contient de nombreuses voix et une signature à la fois individuelle et collective. L'auteur est ancrée dans la ville de Wuhan et ses écrits ont un rayonnement mondial. C'est un espèce de "jeu de cache-cache" pour à la fois dire les choses et échapper à la censure.

Wuhan c'est vraiment une sorte de symbolisation de ce que la Chine veut montrer au monde, à la fois avec le témoignage de Fang Fang et aussi de cette sortie de la crise présentée comme opposée aux échecs des démocraties occidentales. Valérie Niquet

Références musicales : 

  • The Servile, No Party for Cao Dong
  • The Next day, David Bowie
  • Knocking on a Heaven's door, Fairport Convention

Pour aller plus loin : 

« Le basculement du monde vers l’Asie, avec la Chine au centre, n’aura pas lieu », tribune par Walter Lohman et Valérie Niquet, Le Monde, 3 septembre 2020.

La nouvelle dans la littérature chinoise contemporaine, par Brigitte Duzan.

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