Serge Gainsbourg est mort le 2 mars 1991. Depuis “Les Sucettes” jusqu'à "La Marseillaise" version reggae, Signes des temps interroge la transgression et sa perception aujourd'hui.
- Chloé Thibaud Journaliste. Autrice de la newsletter féministe et culturelle #LesPetitesGlo.
- Alex Beaupain Auteur, compositeur, interprète
- David Caviglioli Journaliste à l'Obs
Sa fille Charlotte l'a récemment déclaré : son père "serait aujourd’hui condamné pour chaque chose qu’il a faite."
"Tout est si politiquement correct aujourd’hui, a-t-elle ajouté_, si ennuyeux. Si prévisible. Et tout le monde a si peur de ce qui se passerait s’ils allaient trop loin."_
Et pourtant, mort il y a tout juste trente ans, Serge Gainsbourg est aujourd’hui célébré partout. Sur Spotify, à en croire Le Point, il totalise près de 300 millions d'écoutes. Les 35-44 ans représentent la tranche d'âge la plus assidue, suivie des 18-24 ans %.
À la Comédie-Française, des trentenaires lui ont rendu hommage le 26 février dernier dans un spectacle filmé au studio Ferber et retransmis sur France 3. Une semaine plus tard, le 3 mars, le chanteur Alex Beaupain reprenait l’intégrale de Love on the Beat avec l’orchestre philharmonique de Radio France, dans une émission présentée par Rebecca Manzoni.
Dans les médias, à l’exception de Lio, qui l'a traité de harceleur, et du site auféminin.com, l’unanimisme est de règle. Les Inrocks, L’Obs, Télérama en particulier, autrement dit les chantres de la nouvelle morale intersectionnelle et féministe, se sont tous inclinés devant le chanteur misogyne, amoureux des nymphettes, jouant avec la perspective de l'inceste et la violence. Mais chacun sait que très peu, voire aucun de ses albums, ne pourraient sortir aujourd’hui, tant ils semblent avoir été écrits contre les temps conformistes et effrayés qui sont les nôtres.
Notre époque si vertueuse s'ennuierait-elle elle-même?
Gainsbourg, une survivance de l’ancien monde ?
En réécoutant l’oeuvre de Gainsbourg, on ressent aujourd’hui un déchirement. A-t-on changé ? Qu’on le veuille ou non, nous avons évolué depuis une dizaine d’années. Mais à l'époque, Gainsbourg avait déjà conscience des enjeux dans ses chansons. Dans la société, il y a des personnes attirés par les jeunes filles, il y a des pulsions racistes. C’est important que cela figure dans la création artistique.
David Caviglioli
Je me suis posé des questions avant de reprendre "Love on the Beat". Est-ce pertinent d’user de ces provocations aujourd’hui ? Je ne pense pas que les chansons soient le lieu de la bienséance et de la morale. On y joue un personnage. D’ailleurs, le mouvement #MeToo ne s’attaque pas aux oeuvres, mais aux actions des personnes dans la vie réelle. Dans une oeuvre d’art, on peut tout dire. Si Gainsbourg perdure aujourd’hui, c’est qu’il y a dans son oeuvre quelque chose de très post-moderne.
Alex Beaupain
Un héritage littéraire
L’inspiration majeure de Gainsbourg est Lolita, de Nabokov. Et comme le précisait l'auteur, ce n’est pas l’histoire d’une fascination, mais l’histoire d’un pauvre type. Gainsbourg, avec ses différents alter ego, incarne ce personnage tragique.
Alex Beaupain
Adolphe, de Benjamin Constant a aussi façonné Gainsbourg. C’est une histoire qui revient sans cesse dans son oeuvre. Il s’est revendiqué du personnage cynique et désabusé qui fait souffrir malgré lui. Il est donc très proche des auteurs du XIXe. La seule différence avec Flaubert et de Rimbaud, c'est qu'ils sont au programme scolaire. Si on posait le même regard sur leurs oeuvres que sur celle de Gainsbourg, on se rendrait compte que ce sont aussi des contenus problématiques. Ce qui est important aujourd'hui, c’est de proposer d’autres références, et de contextualiser sans censurer.
Chloé Thibaud
Pour aller plus loin
Références musicales :
Vu de l'extérieur de Serge Gainsbourg
Cargo Culte de Serge Gainsbourg
Variation sur Marilou de Serge Gainsbourg
Qui est in qui est out de Serge Gainsbourg
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