Comment parler de culture quand il n’y a plus de culture ? La situation est paradoxale. Après le terrorisme et la crise financière, mais de manière bien plus radicale encore, le Covid-19 achève d’instaurer pour notre nouveau siècle une tendance lourde à l'état d'exception, et à l’imprévisible.
- Michel Orier Directeur de la Musique à Radio France
- Boris Le Roy Ecrivain, professeur de création littéraire à l'Université Paris 8.
- Anna Guilló Artiste plasticienne et professeure des universités à Aix-Marseille Université.
La fermeture des cinémas, des librairies et surtout des salles de théâtres et de concert met à mal une économie qui se caractérisait depuis des décennies par le foisonnement mais aussi par le court-terme, un taux de rotation de plus en plus rapide de films et de spectacles devenus des biens de consommation comme les autres, assurant de quoi vivre à un monde culturel surpeuplé. Sans s’en rendre compte, le monde culture en était ainsi revenu à la célèbre dénonciation d’Antonin Artaud (qui ouvre Le théâtre et son double, Gallimard, 1938) : « Jamais, quand c’est la vie elle-même qui s’en va, on n’a autant parlé de civilisation et de culture. »
C’est cette spirale qui a été brutalement interrompue pour cause de virus et remplacée par le vide.
Si le virus SARS-CoV-2 plonge toute la planète dans le désarroi, et des centaines de milliers de personnes dans la détresse, il affecte donc le monde artistique d'une manière bien particulière, qui n'est pas seulement économique. Les "journaux de confinements" ou, au contraire, les manifestations d'art civique, qui se sont multipliés depuis le début de la crise ont illustré, jusqu'à la caricature, la profondeur de ce malaise.
Si la culture est ce qui se passe quand les choses sont normales, l’art lui-même est un acte extrême, une exception. Le retour du business as usual est-il possible économiquement, est-il artistiquement souhaitable ? Faut-il revenir à ce qui était ou bien se mettre en quête d’un art capable de répondre à ce que notre époque a d’inédit ? Quelle dramaturgie inventer pour répondre à la dramaturgie sociale de la crise, aujourd’hui sanitaire, et demain économique et géopolitique ?
Marc Weitzmann s'entretient avec Boris le Roy, écrivain et romancier, Anna Guilló, artiste plasticienne et professeure des universités à Aix-Marseille Université et Michel Orier, fondateur du Label Bleu, ancien directeur général de la création artistique au Ministère de la Culture, et actuellement directeur de la musique et de la création culturelle à Radio France.
Cet arrêt jette une lumière d'autant plus violente sur le foisonnement, sur la densité de ce qui était proposé avant la pandémie. [...] Ce qui m'a beaucoup frappé dans ce qui préexistait, c'est cette contraction du temps, il y avait énormément de productions, de créations artistiques, mais sur des temps à chaque fois très court, qui n'avaient pas le temps de s'installer, de trouver leur public, de se déployer artistiquement. [...] Ce foisonnement pose un certain nombre de questions qui vont de pair avec une sorte d'hyper consommation. Michel Orier
Il me semble que dans la crise que nous sommes en train d'évoquer, il est davantage question d'arrêt de l'activité culturelle que d'arrêt de l'activité artistique. Anna Guilló
En ce moment, je suis dans un rapport un peu schizophrénique, parce que, d'un côté, ma marginalité d'aujourd'hui devient une norme. Et puis, d'un autre, je ne conçois pas non plus le travail de l'auteur sans aller enquêter sur le terrain. Boris Le Roy
Extraits musicaux
" La maison Borniol " par Hubert-Félix Thiéfaine - Album : "... tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s'émouvoir..." (1978) chez Sony BMG.
" Living in a ghost town " par Les Rolling Stones - Chanson écrite juste avant le confinement - avril 2020 (voir la vidéo).
" It's all over now, Baby Blue " par Bob Dylan - Album : " Bringing it all back home " (1965).
Pour aller plus loin :
>>> Page wikipédia de Boris Le Roy
>>> Biographie de Michel Orier
>>> Page wikipédia du Label Bleu (pour connaître toute l'histoire de ce label français de jazz, musiques improvisées et musiques du monde fondé à Amiens en 1986).
>>> Page Facebook du Cinéma La Clef (cf. illustration) et un article de Jean-Michel Frodon (sur le site Slate), qui parle des projections en plein air que propose le cinéma La Clef (sur son toit) depuis le début du confinement.
>>> Page d'accueil du site du ministère de la Culture " Culture chez nous " (voyage artistique à travers toutes les richesses de la culture, en réunissant dans un seul site l'offre en ligne de près de 500 acteurs culturels.)
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