La réalité en littérature à l'heure du faux

La vérité en littérature
La vérité en littérature ©Getty - PhoTon
La vérité en littérature ©Getty - PhoTon
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Adieu la fiction, adieu l'autofiction : quand la littérature dit "la vérité".

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Par orgueil ou vertu, ce qui est souvent la même chose, un nombre croissant d’écrivains français croient aujourd’hui pouvoir s’affranchir de la fiction au seul bénéfice du "vrai". Les réseaux sociaux, le virtuel, les fake news s’ajoutant désormais aux "mensonges" traditionnels du "système" et des médias de masse, auraient achevé de déréaliser un monde que seule une littérature libérée de la fiction parviendrait encore à décrire. "La réalité", "la vérité" termes d’autant plus interchangeables que plus personne n’essaie de les définir, jaillirait ainsi de la plume de ces nouveaux écrivains directement sur la page, sans non plus le recours à ce que l’on appelait il y a encore peu l’autofiction. "Je m’adresse au lecteur comme à un ami" explique par exemple Emmanuel Carrère au micro d’Olivia Gesbert sur France-Culture. "J’aimerais être capable de faire des livres qui soient comme une conversation amicale." Et avec un ami on n’invente rien, on dit "tout" sans s’épargner -quitte à sacrifier les détails au passage-.

D’Emmanuel Carrère, justement, à Camille de Toledo en passant par le procès d’Edouard Louis dont le verdict est tombé jeudi dernier, plusieurs affaires plus ou moins graves viennent illustrer ces temps-ci les problèmes que posent ce nouveau rapport à "la vérité".

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Une oeuvre littéraire comme preuve ou argument juridique ? 

Marc Weitzmann évoque le livre Histoire de la violence et la place de l'argument littéraire dans le cadre du procès de l'agresseur présumé d'Edouard Louis. 

Savoir pourquoi les juges ne veulent pas lire le livre ? On comprend la position qui consisterait à dire : on ne sait pas quoi faire de ce type d'écrit -même si ça peut faire preuve puisque tout peut faire preuve-. Cela me semble problématique dans la mesure où c'est un écrit qui élabore une vérité à partir de ce qui s'est passé ; c'est ce problème de l'élaboration d'une vérité qui pose problème aux juges. Le juge ne sait pas quoi faire de cette épaisseur d'écriture qui situe le livre dans la littérature. Puisque de la lecture du livre, on ne peut pas élaborer des faits qui seraient incompatibles avec une argumentation juridique. Judith Lyon-Caen

Ce qui me ce qui me semble problématique dans cette affaire, c'est de considérer qu'un écrivain dit la vérité. [...] Cette idée d'unicité de la vérité en littérature, pour moi, est quelque chose qui ne passe pas du tout. Pour moi, la littérature, c'est précisément une forme d'altération du soi... Claude Arnaud

La place de l'archive

En historienne, Judith Lyon-Caen revient sur le statut du document et en particulier dans le livre de Camille de Toledo Thésée, sa vie nouvelle. 

Qu'est-ce que ça dit du statut du document dans un livre de ce type qui, en effet, explore les frontières compliquées de l'autobiographie et de la fiction. [...] A partir du moment où les autres photographies, elles, sont référentielles, il y a quelque chose qui gêne du côté du statut du document. C'est ce que Claire Paulian appelle avec beaucoup de justesse dans son article "jeter aux yeux du lecteur, des poignées de sable auratique". Le deuxième problème, c'est cette généalogie recomposée, il y a un glissement généalogique. Judith Lyon-Caen

Musique :

Fake is the new real de Alice smith

Pour aller plus loin

La fabrique d’une légende, par Claire Paulian, En attendant Nadeau, 18 novembre 2020.

Où est la vérité de la littérature ? Débats autour du livre de Camille de Toledo, par Lise Wajeman, Mediapart, 27 novembre 2020.

À réécouter : Emmanuel contre Carrère
La Grande table culture
28 min
La Fabrique de l'Histoire
52 min

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