Signes des temps évoque le film Nomadland de Chloé Zhao et la société américaine contemporaine.
- Anne-Lorraine Bujon Directrice de la rédaction de la revue Esprit
- Romain Huret Historien, spécialiste des États-Unis
- Samuel Blumenfeld Journaliste au Monde, critique de cinéma.
Une journaliste indépendante spécialiste du reportage en immersion, une actrice star mais marginale et une cinéaste chinoise individualiste, en délicatesse avec son pays d’origine, et auteure de deux films sur les marginaux aux États-Unis : sans doute fallait-il ces trois femmes improbables pour accoucher de Nomadland, le film le plus remarquable à voir en ce moment au cinéma, et certainement le plus hybride.
Autant le dire d’emblée, ce n’est pas un film qui fait l’unanimité. Lion d’or au festival de Venise, Oscar du meilleur film, de la meilleure mise en scène, et de la meilleure actrice pour Frances McDormand, il a suscité autant d’éloges que de critiques. Parce qu’il se penche sur les nouveaux travailleurs précaires itinérants aux États-Unis, on lui a reproché d’être trop documentaire et de ne pas l’être assez, de faire la part belle aux blancs pauvres conservateurs de l’Amérique post-Trump, ou encore d’exploiter des individus en difficulté pour faire de belles images sur l’Amérique et ressusciter sa mythologie, et de décliner le regard d’une chinoise mondialisée sur ceux qui n’ont rien.
Et pourtant, Nomadland pourrait bien être le film le plus intéressant à voir en ce moment sur l’Amérique, et sur la question de savoir à quoi peut ressembler le cinéma, dans le monde mouvant et protéiforme qui est le nôtre au 21e siècle.
Une histoire dans la lignée des grands films américains
Il y a quelque chose de très biblique dans ce film. L'errance, la dérive, la traversée... Les grands films américains ont toujours eu cette faculté à raconter des histoires qui semblent universelles tout en étant propre au pays et à son espace. On retrouve dans "Nomadland" les figures et les structures de ces grands films américains, mais dans une version très contemporaine, avec la prégnance du thème de l’écologie par exemple.
Anne-Lorraine Bujon
Les films de Chloé Zhao s’inscrivent dans ce qu’on appelle de façon péjorative la Mid America, l’Amérique profonde : c'est un territoire qui a toujours été arpenté au cinéma par des réalisateurs américains qui en étaient issus. Là, c’est une des premières fois où il est parcouru et humé par quelqu’un qui n’en est pas originaire territorialement et socialement. Chloé Zhao a un regard d’outsider, mais elle a l’honnêteté d’adapter sa vision à ce qu’elle voit et pas à ce qu’elle pense.
Samuel Blumenfeld
Le départ comme un deuil
Le grand drame de 2008 a mis des millions d’Américains sur les routes, mais on a assisté à une féminisation du départ car les femmes ont été les premières victimes de cette crise économique. Il y a par ailleurs un deuil générationnel : les gens se sont mis à vivre dans des vans ou des Mobil-Homes. Ils ont dû complètement réinventer la maison. Qui aurait imaginé cela il y a cinquante ans ? Toutefois, si cette marginalité est subie, c'est avec l'espoir très américain d'une deuxième chance.
Romain Huret
Musiques diffusées :
- Oltremare de Ludovico Einaudi
- I Am a Lonesome Hobo de Bob Dylan
- Seafaring Song d'Isobel Campbell et Mark Lanegan
L'équipe
- Production
- Réalisation
- Collaboration