Patriarcat. La domination masculine a-t-elle toujours existé ?

La domination masculine a-t-elle toujours existé ? De quand peut on dater l’avènement des sociétés patriarcales ? S'il est vrai qu'elles les ont précédés, les sociétés matriarcales étaient-elles plus égalitaires ?
La domination masculine a-t-elle toujours existé ? De quand peut on dater l’avènement des sociétés patriarcales ? S'il est vrai qu'elles les ont précédés, les sociétés matriarcales étaient-elles plus égalitaires ? ©Getty -  Charles Thénoz / EyeEm
La domination masculine a-t-elle toujours existé ? De quand peut on dater l’avènement des sociétés patriarcales ? S'il est vrai qu'elles les ont précédés, les sociétés matriarcales étaient-elles plus égalitaires ? ©Getty - Charles Thénoz / EyeEm
La domination masculine a-t-elle toujours existé ? De quand peut on dater l’avènement des sociétés patriarcales ? S'il est vrai qu'elles les ont précédés, les sociétés matriarcales étaient-elles plus égalitaires ? ©Getty - Charles Thénoz / EyeEm
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Deux ans après #Metoo et #balancetonporc censés révolutionner les rapports hommes-femmes, où en est-on ? Dans ce contexte toujours confus, Signes des temps prend le temps de réfléchir à ces notions de patriarcat et de domination masculine que tout le monde agite, en les replaçant dans le temps long.

Avec
  • Peggy Sastre Docteur en philosophie des sciences, chroniqueuse et journaliste
  • Michèle Idels Codirectrice des éditions Des Femmes-Antoinette Fouque
  • Camille Chaplain Traductrice
  • Ivan Jablonka Écrivain et Professeur à l’université Paris 13.

Sous le terme nouveau de "féminicide", la presse se fait l’écho de meurtres de femme pratiquement une fois par semaine. Dans son numéro du 23 septembre, Charlie Hebdo nous apprend que le Planning Familial, qui a joué un rôle central dans la lutte pour la contraception et l’avortement dans la seconde moitié du XXe siècle, s’apprête à revenir sur la définition du féminisme universaliste qui était la sienne jusqu’à présent et que certaines de ses antennes soutiennent les militantes du burkini. On a également appris cette semaine la condamnation  en première instance de Sandra Muller. La journaliste à l’origine du mouvement #balancetonporc a été condamnée pour diffamation à payer 15 000 euros de dommages et intérêts à Eric Brion, l’homme qu’elle avait "dénoncé" pour lui avoir fait une remarque déplacée, et qui l’accuse depuis de harcèlement. Pendant ce temps, nul ne sait avec certitude où en sont, en France, les affaires Tariq Ramadan, ou aux Etats-Unis l’affaire Weinstein dont le scandale a lancé le mouvement de révolte.

Dans ce contexte confus, il peut être utile d’essayer de prendre du champ et de réfléchir sur ces notions de patriarcat que tout le monde agite. Et c’est ce qu’on va essayer de faire aujourd’hui grâce, notamment, à Camille Chaplain et Michèle Idels, traductrice et éditrice du livre événement de près de 600 pages  publié aux éditions des Femmes, Les sociétés matriarcales, de la chercheuse allemande Heide Goettner-Abendroth. Grâce à l’historien Ivan Jablonka qui vient de publier Des hommes justes. Du patriarcat aux Nouvelles masculinité. Et avec Peggy Sastre, éditorialiste au Point, journaliste spécialiste des questions de biologie comportementale, et auteure notamment de La domination masculine n’existe pas.

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Michèle Idels : Dans son livre, et à partir des recherches qu'elle a menées, Heide Göttner-Abendrot démontre que la domination masculine - contrairement à ce qu’ont pu dire un certain nombre d’anthropologues - n’est pas éternelle ni universelle. Et qu’elle a été précédé par un autre type de sociétés. Mais ce qui ressort de ses travaux, c'est que le matriarcat ne serait pas comme l'image inversée du patriarcat. En revanche, elle démontre que des "sociétés matriarcales" existent, dans lequelles vivent encore aujourd’hui encore 3 millions de personnes sur les divers continents. Celles-ci ne sont pas des sociétés de domination des hommes par les femmes, ce sont au contraire des sociétés non hiérarchiques, de partage et d’égalité. Des sociétés d’équilibre.

Ivan Jablonka : S’appuyer sur des sources une chose fondamentale en histoire. Une chose est par exemple d’observer les sociétés par exemple les Moso en Chine du sud, une autre est de se demander quelles étaient les sociétés patriarcales ou matriarcales au Ve millénaire avant notre ère. On n’a pas de preuves que les Moso existaient il y a 5 000 ans. Une chose c’est les traces que l’on a des sociétés du paléolithique supérieur ou du néolithique, une autre chose sont les observations ethnologiques que l’on peut faire à partir de sociétés du XXe et du XXIe siècles. Je ne suis pas sûr que le patriarcat ait toujours existé, c’est en effet difficile à prouver pour des sociétés sans écriture et qui nous ont laissé très peu de traces matérielles comme celles du paléolithique supérieur. Mais la conclusion à laquelle je suis parvenue en menant ce travail d'historien c’est que l’enracinement définitif de la domination masculine pour l’Europe coïncide avec la fin du Néolithique, 4 000 ans avant notre ère. A partir de ce moment-là, les hommes vont monopoliser ces grandes inventions que sont l’écriture, puis l’Etat, les armes de guerre ou encore les monothéismes.

Ivan Jablonka : Ma démarche est historique mais aussi politique, je pense qu'il faut complexifier et politiser le masculin, et savoir si l’on peut dater l'avènement du patriarcat est une question importante. Je pense par exemple aux travaux de Marija Gimbutas qui dans les années 1980 développaient la thèse d’une religion d’une déesse-mère qui aurait existé au IVe millénaire avant notre ère, avant d'être balayée par des peuples armés venus des steppes eurasiatiques. Cette thèse a été réfutée par l'archéologue Jean-Paul Demoule qui montre qu'il n'existe aucune preuve d'un écroulement de sociétés matriarcales remplacées vers l’âge du bronze par des sociétés, des religions ou des institutions venus de l’est. 

Michèle Idels : En effet, celles et ceux qui se sont risqués à travailler sur ces questions ont souvent été réfutés violemment. Dans son livre, Heide Göttner-Abendrot relève à quel point les recherches faites avant elle sur les sociétés matriarcales ont été sporadiques, et la façon dont les anthropologues qui s’y intéressaient ont été relégués à une forme de marginalité. Mais surtout, au travers de plusieurs exemples, elle met au jour le biais masculiniste qui a guidé les réfutations de ces travaux antérieurs. Je pense que ce livre va apporter une somme de connaissances qui manquent à la conscience humaine aujourd’hui. 

Peggy Sastre : Le livre de Heide Göttner-Abendrot est intéressant, et pour moi, sa démonstration n'est pas incompatible avec une approche biologique de ces phénomènes. Il montre justement comment toutes ces différentes formes du matriarcat sont reliées aux écosystèmes et aux écologies spécifiques de chaque région. L’argument qui consiste à invalider une lecture biologique parce qu’il y a toute une gamme de phénomènes ne tient pas : depuis Darwin, la biologie montre aussi comment par les interactions avec les environnements chacun trouve sa niche. 

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