« Si vous êtes une femme et que vous osez regarder à l’intérieur de vous-même, alors vous êtes une sorcière. » Manifeste de Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell, New York, 1968
- Arièle Bonte journaliste, créatrice de la newsletter SPELL IT OUT
- Céline du Chéné Productrice à France Culture, chroniqueuse à "Mauvais Genres"
- Maxime Gelly-Perbellini historien
Les sorcières sont-elles de retour ? Cela peut sembler un fait avéré en effet depuis que l’activiste écoféministe américaine Starhawk, qui se revendique également sorcière, s’est fait connaître en venant soutenir la ZAD de Notre-Dame des Landes, depuis #MeToo aussi, et tandis que sur Internet se multiplient les sites de sorcellerie new age, végétariens ou jeteurs de mauvais sorts contre Donald Trump, qu'en France, le Witch Bloc conspue Emmanuel Macron sur une banderole lors d'une manifestation.
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Et pour que le tour d'horizon soit complet, citons encore la collection d'essais lancée par l’éditrice Isabelle Camourakis - aux éditions du même nom - la parution de La Sorcellerie capitaliste de la philosophe Isabelle Stengers, la sortie du documentaire Sorcières mes sœurs de l’artiste Camille Ducellier, la pièce Le monde renversé portée par quatre jeunes comédiennes du collectif Marthe qui continue sa tournée en France.
Nouvelle mode contestataire ou exploration d'une nouvelle forme de spiritualité, entre agitprop' ésotérisme et néo-paganisme, le phénomène s'ancre-t-il réellement dans une histoire longue, fait-il référence aux sorcières qui l'ont précédé ? Pour comprendre à quoi correspondent ces mouvements qui mobilisent la figure de la sorcière aujourd’hui, Marc Weitzmann s'entretient avec Céline du Chéné, productrice à France Culture et autrice de Sorcières. Une histoire de femmes (Michel Lafon / Radio France) Maxime Gelly-Perbellini, historien et Arièle Bonte, journaliste, créatrice de la newsletter Spell it loud, consacrée à la sorcellerie.
A quel phénomène historique correspond cette nouvelle mode contestataire ?
Maxime Gelly-Perbellini : Le mot "sorcière" apparaît pour la première fois dans la langue française dans le roman d’Enée au XIIe siècle. Mais, même si l’on connaît déjà des procès au Moyen Age où se trouvent inquiétés des hommes ou des femmes accusés de pratiquer la sorcellerie, le concept de "chasse aux sorcières", contrairement aux idées reçues, date de l'époque moderne. C'est la diffusion à partir du XVIe siècle - grâce aux progrès de l'imprimerie - d'une cinquantaine de traités médiévaux qui va instiller dans les milieux judiciaires - dans certains contextes politiques - l’idée de l'existence d'une secte des sorciers et des sorcières qui met à mal le monde chrétien. Secte qu'il faut par conséquent condamner et réprimer. Grâce à ces "best sellers" que l'on va retrouver dans toutes les bibliothèques écclésiastiques ou juridiques, on va assister à la systématisation d'une procédure judiciaire qui consiste à enquêter afin de débusquer le sorcier ou la sorcière. Et qui va faire entre 60 000 et 100 000 victimes entre 15560 et 1682, date à laquelle le Parlement de Paris décriminalise la sorcellerie.
Comment l'image de la sorcière va-t-elle évoluer ?
**Céline du Chêné : "**C’est Jules Michelet qui avec son livre La Sorcière en 1862 va changer l’image de la sorcière. Même s'il n’est pas à l’origine de tout, Michelet est sans doute l'historien qui a le plus contribué à transformer cette figure négative en une figure intéressante, une femme belle, révoltée, et très liée à la Nature. Une figure éminemment romantique qui arrive après l'essor de la littérature fantastique à la fin du XVIIIe siècle plein de fantômes, de vampires... et des sorcières."
Et au XXIe siècle, la figure de la sorcière fait l'objet d'une forte réappropriation de la part des militantes féministes. De quand date cette nouvelle métamorphose ?
Davantage encore que leurs aînées des années 1970, les féministes actuelles semblent hantées par la figure de la sorcière : une figure double en réalité, à la fois la victime absolue, celle pour qui on réclame justice, et la rebelle obstinée. Mona Chollet Sorcières, la puissance invaincue des femmes.
Arièle Bonte : On a vu d'abord émerger à New York en 1968 un groupe de militantes féministes, très imbriquées dans le mouvement de libération des femmes, reprendre les codes de la sorcière, avec les chapeaux pointus, les robes noires dans les manifestations et jeter des sorts dans la rue. Si ce mouvement n'a duré que deux ans, il a récemment refait surface d'abord en 2016 à Portland avant de se diffuser dans le reste des Etats-Unis, puis largement avec la naissance de groupes witch à Londres, à Tokyo ou à Paris. La première fois qu’on a vu apparaître en France le Witch bloc Paname c’était en septembre 2017 dans les manifestations contre la Loi travail. Elles performent des rituels très organisés par exemple pour le 8 mars pour la Journée internationale des droits des femmes où elles font des incantations pour lutter contre les oppressions systémiques que subissent les femmes - mais aussi les personnes LGBTQ+.
Céline du Chéné : Comme l'ont montré les mouvements LGBTQI+ on peut retourner la valeur de l'insulte pour en faire un étendard, une forme de fierté. C’est ce qui est train de se passer avec le terme de sorcière. Affirmer "Nous sommes les arrière-petites filles des sorcières des bûchers" relève davantage d'un discours, d'un positionnement politique, que d’une réalité historique bien sûr. Moi je dirai plutôt que ce terme permet à un certain nombre de personnes qui ont envie de pratiquer une spiritualité différente de se désigner. Parce qu'il reflète le besoin assez largement partagé de trouver une pratique spirituelle en dehors des monothéismes... particulièrement misogynes.
Musiques diffusées
- Annette Peacock, Blood
- Gemma Ray, Rosemary’s baby vs Drunken Butterfly
- Hubert Félix Thiéfaine, Les jardins sauvages
A écouter aussi
C et épisode du podcast "Passion Médiévistes" dans lequel Maxime Gelly-Perbellini raconte les procès de sorcellerie à la fin du Moyen Âge.
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