Proust et les paradoxes de l'assimilation

L’exposition "Marcel Proust, du côté de la mère" qui s’ouvre le 14 avril et jusqu’au 22 août au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme et dont France-Culture est partenaire est la première manifestation en France à présenter Marcel Proust à travers le prisme de sa judéité. Cette exposition coïncide avec la sortie ce printemps du livre d’Antoine Compagnon, Proust du côté juif, qui explore autant l’éventuelle judéité de Proust que la façon dont cette judéité a été perçue, niée, utilisée et débattue dans les années qui ont suivi sa mort, par qui et pourquoi. Dans des pages passionnantes, qui se lisent à la fois comme une méditation littéraire et historique et comme une enquête, Antoine Compagnon ressuscite ainsi tout un milieu français et juif oublié, mais aussi des débats dont on a oublié la virulence.

Proust était-il juif ? A le lire, on se rend compte que la question qui peut sembler oiseuse ou gratuite, renvoie en fait à des débats français très profonds qui agitèrent les contemporains de Proust, et qui résonnent de façon particulière en ce jour d’élection : qu'est-ce que l'assimilation, quel en est le prix, qu'est-ce que la mémoire de l'identité ?

L'invité du jour

Marc Weitzmann reçoit Antoine Compagnon, professeur émérite au Collège de France et auteur de Proust du côté juif (Gallimard, 2022)

Proust et la judéité : des lectures opposées

Antoine Compagnon, dans son dernier ouvrage, nous plonge dans les années 1920 en interrogeant le rapport de Proust et de ses lecteurs à sa judéité. Dans La Recherche du temps perdu, les portraits des personnages invitent à réfléchir à l'assimilation, notamment par la lecture qu'en font les juifs d'alors, qui font s'affronter deux visions bien distinctes : "Ce qu'ils voient, c'est un Bloch qui cherche à dissimuler ses origines juives, et la trajectoire de Bloch c'est celle-là, à la fin, il est caractérisé par son chic anglais, par ses cheveux lisses, et il n'a plus rien de juif. Il est évident que pour le narrateur ou Proust, il n'y a pas d'approbation de cette dissimulation, puisqu'au contraire c'est la trajectoire inversée de Swann, qui à la fin de sa vie retrouve ses origines - c'est cette trajectoire-là qui est exaltée".

Dans les années 1930, le débat se transforme : les mêmes passages descriptifs de La Recherche sont relus différemment. Une nouvelle thèse est portée par Siegfried van Praag : "à mon sens, il est le premier, au fond à mettre en garde : il dit que la lecture de Proust pourrait être dangereuse, mais il n'attribue pas à Proust ni la haine de soi comme juif, ni des propos antisémites, mais que ça pourrait être lu de cette manière et donc avoir des effets néfastes". La thèse de van Praag se répand, et nourrira les réflexions d'Arendt sur l'assimilation française dans Les Origines du totalitarisme - un des éléments mis en lumière par l'enquête fouillée d'Antoine Compagnon dans son livre_. _

Pour en savoir plus

• L'exposition Marcel Proust. Du côté de la mère, au Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme (MAHJ). Du 14 avril au 28 août 2022.
• L'exposition consacrée à Marcel Proust à la Bibliothèque nationale de France. Du 11 octobre 2022 au 22 janvier 2023.
• «Proust du côté juif», histoire et anachronismes, Libération, 12 mars 2022

Générique

Musiques diffusées

• Trois Gymnopédies d'Erik Satie
• India Song de Rosemarie Standley
• By the Rivers Dark de Léonard Cohen

À lire aussi : Proust, le podcast

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