Verlaine et Rimbaud au Panthéon : la révolte institutionnalisée ?

"Ils ont enrichi par leur génie notre patrimoine. Ils sont aussi deux symboles de la diversité. Ils durent endurer l’homophobie de leur époque. Ils sont les Oscar Wilde français." Ainsi commence la pétition lancée voici une dizaine de jours par Jean-Luc Barré et Frédéric Martel respectivement éditeur et préfacier de la massive biographie d’Arthur Rimbaud de Jean-Jacques Lefrère, initialement publiée en 2001 et qui ressort en ce moment dans la collection Bouquins. Aussitôt, cette pétition fort dans l’air du temps et regroupant des signatures aussi diverses qu’Annie Ernaux, Christine Ockrent, Line Renaud, Michel Onfray et Daniel Mendelhson sans compter 9 anciens ministres de la Culture dont Jack Lang et Aurélie Filippetti, a reçu l’aval de l’actuelle ministre Roselyne Bachelot. Après le Nobel à Bob Dylan, la sacralisation du poète français de la révolte semblait bien parti.

C’était compter sans une autre pétition, inévitable, publiée dans Le Monde dans son édition de ce vendredi. Ce contre-appel, dénonçant tout à la fois l’académisme politiquement correct et le communautarisme lénifiant de l’appel, exhorte le Président de la République à ne pas commettre cette erreur, pire, cette gaffe, consistant à faire se cotoyer Jean Moulin et deux poètes maudits, l’un surtout, qui écrivit tout de même lors de la guerre de 1870 qu’il souhaitait de tout son cœur la victoire de la Prusse, et finit marchand d’arme en Afrique.  Ce second texte est signé de noms non moins illustres, tels le poète Adonis, Florence Delay, François Julien, Michel Le Bris, Eri de Luca, Eric Marty, Olivier Rollin, Jean Rouaud et Alain Borer.

Qu’est-ce qui est en jeu dans cette querelle patrimoniale où se mêlent l’identité nationale, identité sexuelle et la vérité supposée de la révolte ? Pourquoi le Panthéon fait-il objet de débats si enflammés en France, tandis que partout on s’échine à déboulonner les statues ?

La place des poètes

Alain Borer évoque la place majeure occupée par Arthur Rimbaud dans l'histoire de la poésie. 

Rimbaud fait une rupture avec toutes les formes précédentes, il choisit le réel et par conséquent, la révolte n'est pas seulement du côté de la poésie. Alain Borer

Il y a une homophobie récurrente dans les études littéraires, notre objectif était de la faire émerger parce que désormais les études rimbaldiennes vont pouvoir se repositionner sur cette question trop longtemps niée. Frédéric Martel

Le Panthéon, temple de la République

Cette deuxième partie d'émission évoque le rôle symbolique de la Panthéonisation. Frédéric Martel propose de désinstitutionnaliser le Panthéon. 

Au Panthéon, il y a des généraux que personne ne connaît ! Aujourd'hui, le Panthéon doit mieux représenter la France. Frédéric Martel

Le Panthéon représente une cohérence des valeurs nationales laïques, ce à quoi Rimbaud et Verlaine s'opposent radicalement. [...] Les panthéoniser serait un contre-sens rimbaldien ! Le Panthéon n'a pas une fonction sociétale mais une fonction mémorielle.  Alain Borer

On fait immédiatement de la contre-culture : une culture officielle en France. Quelle place pour une parole qui échappe à l'institution ? puisque toute révolte est institutionnalisée. Marc Weitzmann

Extraits sonores :

Discours d'André Malraux : "Entre ici Jean Moulin, avec ton terrible cortège", 1964.

Chanson de la plus haute tour de Catherine le Forestier

Affaire Rimbaud de Hubert-Félix Thiéfaine

"À chaque être, plusieurs autres vies me semblaient dues. [...] Devant plusieurs hommes, je causai tout haut avec un moment d'une de leurs autres vies." Arthur Rimbaud, L’alchimie du verbe.

Pour aller plus loin : 

Rimbaud et Verlaine au Panthéon : honneur ou trahison ? avec Frédéric Martel

Article "Panthéoniser Rimbaud et Verlaine serait un contresens", La Croix, 15/09/2020.

La panthéonisation relève de plus en plus d’un procès qui ressemble à celui de la canonisation. La question alors est de savoir s’il y aura autant de pluralisme que dans la sainte congrégation des rites. [...] L’acte de panthéonisation n’est que politique : il consiste à bâtir une sorte de transcendance laïque, mais avec des catégories qui sont celles du droit, de la politique du compromis. Comment faire exister cette transcendance laïque avec ces simples mots et ces simples vies ? Olivier Ihl