Yasmina Reza, l'écriture des catastrophes intimes et collectives

Yasmina Reza
Yasmina Reza ©Getty -  Carole Bellaiche
Yasmina Reza ©Getty - Carole Bellaiche
Yasmina Reza ©Getty - Carole Bellaiche
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Marc Weitzmann reçoit Yasmina Reza à l'occasion de la parution de son roman "Serge", méditation sur les catastrophes de l'Histoire, la mémoire et le temps.

Avec

Comment parler du monde, comment donner forme à ses catastrophes en littérature aujourd’hui ? Pour répondre à cette question, il y a deux sortes d’écrivains. Il y a les écrivains qui s’engagent, ceux qui pour parler du monde, explorent les tares de la société telles qu’ils croient les voir, et font de la fiction le commentaire scandalisé d’une actualité toujours changeante ; et puis ceux, moins nombreux, qui se désintéressent des variations quotidiennes du malheur pour se pencher sur l’invariant de l’énigme humaine en ses métamorphoses.

C’est à la seconde catégorie qu’appartient Yasmina Reza depuis qu’elle a commencé à écrire ses comédies et ses romans sombres, tout en maintenant avec le monde tel qu’il va une distance de loup. Parfois cependant il arrive que les obsessions existentielles intimes d’un écrivain entrent en résonance avec le temps qu’il vit. C’est le cas avec le roman qu’elle sort en ce moment, dont le titre sobre, Serge, contraste avec la densité. A la fois portrait de famille, méditation sur la mémoire des cataclysmes historiques, et sur le temps, et chronique d’un sentiment d’échec qui transcende toutes les réussites : telle est la matière de ce livre puissant, peut-être le plus ambitieux de son auteur, certainement le premier des romans de Yasmina Reza à prendre à bras-le-corps le sentiment de désastre que nous sommes probablement tous en train d’éprouver d’une façon ou d’une autre, et qui ne hantait jusqu’ici son œuvre littéraire et théâtrale que de manière implicite.

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L'écriture

J'ai fait ce choix, j'ai pris le "je" d'un des personnages du livre qui lui-même inséré dans l'histoire qu'on va raconter, raconte pour les autres aussi ce qui se passe. J'ai énormément aimé  ce prisme. Il se tient au milieu d'une fratrie [...] tous ces personnages-là sont vus par l'œil complètement subjectif du frère qui a le droit de dire ce qu'il veut, de mentir, de donner sa propre impression. Ce n'est en rien une narration objective et c'est aussi cela qui permet l'humour, le désespoir et les réflexions sur la vie. Yasmina Reza

J'ai traité de la solitude, de la brutalité aussi. Aujourd'hui, on voudrait faire croire que l'homme n'est pas brutal, que la brutalité n'existe pas comme une chose fondamentale [...] On voudrait exclure la brutalité, au-delà du réflexe d'être. [...] Toutes les injonctions de bonnes intentions ont très vite leurs limites et s'arrêtent avec les nerfs ! Yasmina Reza

C'est cela que je cherche dans l'écriture, c'est cet endroit-là de la vérité de l'être. [...] Je ne comprends pas cette formule de "devoir de mémoire". Yasmina Reza

Références musicales

Because de Rosemary Standley

You want it darker de Léonard Cohen 

Time de David Bowie

La Fabrique de l'Histoire
53 min
La Fabrique de l'Histoire
52 min

Pour aller plus loin 

Yasmina Reza : "Le rire de la catastrophe est toujours parfait", par Jean Birnbaum, Le Monde, 14 janvier 2021.

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