

En 1956 paraît un ouvrage devenu un classique en psychologie sociale : L'échec d'une prophétie. Dans cet essai, des chercheurs s'intéressent à une secte qui prédit la fin du monde en décembre 1954. Seulement voilà, mauvaise (bonne) nouvelle, la fin du monde n'a pas eu lieu.
- Gérald Bronner Professeur de sociologie à l’Université Paris Diderot - Paris VII
Que se passe-t-il dans une secte quand le gourou fait une prévision - au hasard la fin du monde - qui s'avère complètement fausse ? La secte cesse-t-elle d'exister ? Et bien non et parfois même au contraire, une prophétie ratée peut entraîner l'expansion de la secte. C'est ce que raconte un ouvrage devenu un classique en psychologie sociale, L'échec d'une prophétie publié initialement en 1956 et re-publié par les éditions des Presses Universitaires de France cette année.
Pour en savoir plus sur cet ouvrage, nous nous sommes tournés vers Gérald Bronner, Professeur de sociologie à l’université Paris Cité, qui préface la nouvelle édition de cette ouvrage.
La prophétie ratée d'une secte
A l’origine de cet essai, il y a un travail de recherche mené par trois professeurs de l’université de Minnesota, dont le théoricien de la dissonance cognitive, le psychosociologue Leon Festinger. L'objectif de leur travail de recherche est d'identifier les mécanismes qui fortifient les croyances chez les individus, et pour cela, ils vont s'intéresser à une secte bien particulière : "Il s'agit d'une secte dirigée par Marian Keech qui prophétisait (...) que le 21 décembre 1954, ce serait la fin du monde. Mais que les adeptes de cette secte seraient sauvés des cataclysmes parce que les soucoupes volantes viendraient les chercher." explique Gérald Bronner.
Le soir du 20 décembre 1954, les adeptes de cette secte se retrouvent pour assister à la fin du monde. Seulement voilà, mauvaise (bonne) nouvelle, la fin du monde n'a pas lieu. Et face à l'échec de leur prophétie, les membres de la secte vont tenter d'apporter des explications, afin éviter d'avoir à remettre en cause leurs croyances : "A la fin de la nuit, vers 5h ou 6h du matin, ils sont exténués (...) ils n'ont pas vu de soucoupes volantes. Tout à coup Marian Keech se met à pleurer de nouveau mais cette fois de bonheur. Elle fait cette révélation incroyable qui sauve à la fois leurs croyances et qui rend possible perpétuation de cette croyance, elle dit : "grâce à nos prières, grâce à nos supplications, nous avons tout simplement sauver le monde."."
La théorie de la dissonance cognitive confirmée
Mais alors pourquoi s'évertuer à trouver de tels subterfuges pour réaffirmer sa croyance plutôt que de reconnaître son erreur ? Pour le sociologue Gérald Bronner, cela tient au lien existant entre nos croyances et notre identité : "Il n'est pas facile d'abandonner nos croyances, tout simplement parce que ces convictions, ces croyances font partie de notre identité. Donc en abandonnant ses croyances, on abandonne un peu une partie de nous-même et c'est très douloureux."
A notre époque, alors que la diffusion de la science est rendue plus facile grâce aux nouvelles technologies, nous aurions pu nous attendre à un recul des thèses conspirationnistes. C'est pourtant tout l'inverse qui se produit, la preuve selon Gérald Bronner, de l'impuissance du récit scientifique face aux croyances les plus fantaisistes : "Les mécanismes de la croyance sont presque à l'inverse des mécanismes de la démonstration scientifique. (...) La possibilité d'être réfuté est une condition sine qua non de l'énoncé scientifique. Dans les énoncés de croyance, c'est tout l'inverse : ces énoncés ne peuvent pas être réfutés, parce que la croyance a toujours assez de ressources pour nier le réel." . La persistance des croyances portées par un mouvement comme Qanon aux Etats-Unis, témoigne ainsi de la pertinence de la théorie de la dissonance cognitive théorisée par Léon Festinger dès les années 50.
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