C'est une canicule qui frappa la ville de Chicago lors de l'été 1995, entraînant une surmortalité conséquente. Mais pourquoi le taux de mortalité différait-il tant en fonction des quartiers ? Et si la catastrophe était finalement plus sociale que climatique ?
- Michel Lussault Professeur à l’ENS de Lyon, géographe, directeur de l’Ecole urbaine de Lyon.
Si vous pensez qu’une canicule est un événement purement climatique, c’est que vous n’avez jamais pris la température d’une ville, quand le mercure grimpe de manière hyperbolique. La canicule qui a frappé la ville de Chicago, aux États-Unis en 1995, prouve qu’une canicule est aussi, et peut-être même avant tout, une catastrophe sociale. Ou du moins une catastrophe révélatrice d’un état du social, comme peu d’autres événements auraient pu le faire.
C'est ce que le sociologue Eric Klinenberg a dévoilé dans sa thèse devenu un ouvrage classique en sociologie Canicule. Chicago, été 1995 : Autopsie sociale d’une catastrophe qui fait l'objet d'une réédition en 2022 aux éditions deux-cent-cinq. Pour nous en dire plus sur la thèse de cet ouvrage, nous sommes allés à la rencontre de Michel Lussault, géographe, professeur à l’université de Lyon et directeur de l’École urbaine de Lyon, il signe l'avant-propos de cette réédition.
La canicule de Chicago : une catastrophe sociale ?
En 2000, le sociologue Eric Klinenberg décide de revenir dans le cadre de sa thèse sur un évènement mortifère survenu en 1995 aux États-Unis : une vague de chaleur historique s'abat sur la ville de Chicago, entraînant la mort de plus de 700 individus entre le 14 et le 20 juillet 1995. Ce taux de mortalité conséquent, sans équivalent dans l'histoire de la ville, s'explique certes par les températures extrêmes, mais relève aussi d'une problématique plus sociale selon le sociologue Eric Klinenberg : celle de l'organisation de la vie en communauté.
En comparant le taux de mortalité de deux quartiers à Chicago homogènes sociologiquement, Eric Klinenberg s'aperçoit en effet que l'organisation de la vie sociale à l'intérieur de ses quartiers a eu un impact décisif sur le nombre de victimes. Michel Lussault explique : "Lorsque la mortalité est plus faible, c'est parce que ces quartiers possédaient une trame de commerce, des équipements publics préservés, des parcs publics encore bien entretenus, des associations caritatives et/ou religieuses encore actives." Regroupés sous l'appellation d'"infrastructures sociales", ces équipements urbains permettent aux habitants d'être en interrelation entre eux, ce qui les pousse à procéder à des signalements en cas de disparition prolongée d'un individu qu'ils avaient l'habitude de croiser.
Une leçon utile dans un contexte de réchauffement climatique
Cet ouvrage devenu un classique de la littérature sociologique nous alerte sur la nécessité d'aménager les villes pour faire face aux évènements climatiques extrêmes, qui tendent à se multiplier depuis quelques années. Dans une première réédition en 2015, le sociologue réactualisait ses observations pour faire écho au contexte du réchauffement climatique : "L'ouragan Katrina avait eu lieu, l'ouragan Sandy avait eu lieu, les premiers méga-feux californiens commençaient également à marquer les esprits. Ce livre nous permet de comprendre que toutes les villes du monde sont appelées à faire face à ces catastrophes climatiques.", explique le géographe Michel Lussault.
Les leçons que l'on peut tirer du travail de recherche sociologique d'Eric Klinenberg sont nombreuses, mais la leçon principale est la suivante selon Michel Lussault : "Si l'on veut se préparer bien, il faut surtout miser sur les infrastructures sociales, les équipements collectifs, la capacité collective à faire front aux catastrophes."
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